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Les Collections de L’Histoire

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Débat<br />

Brexit, so what ?<br />

Le 23 juin 2016, les Britanniques ont voté à 51,9 % pour le Brexit,<br />

« British exit », la sortie <strong>de</strong> leur pays <strong>de</strong> l’Union européenne. Une<br />

décision qui divise aussi les historiens britanniques.<br />

Entretien avec ROBERT TOMBS et JOHN HORNE<br />

Professeur au St John’s College<br />

<strong>de</strong> l’université <strong>de</strong> Cambridge,<br />

Robert Tombs est spécialiste <strong>de</strong><br />

la France du xix e siècle. Il a notamment<br />

publié, avec Isabelle Tombs, La France<br />

et le Royaume-Uni. Des ennemis intimes<br />

(Armand Colin, 2012).<br />

<strong>L’Histoire</strong> : Avez-vous été surpris par le résultat du référendum<br />

sur le Brexit ?<br />

Robert Tombs : Non, j’avais même parié que le « leave » l’emporterait.<br />

Depuis quelques années, la Gran<strong>de</strong>-Bretagne est le<br />

seul pays où la majorité <strong>de</strong> la population pense pouvoir mieux<br />

affronter l’avenir en quittant l’Union européenne. Notre vision<br />

<strong>de</strong> l’Europe est plus pragmatique et moins romantique que la<br />

vôtre. Notre histoire est moins tragique et l’Union n’a jamais<br />

été perçue en Angleterre comme une manière d’empêcher les<br />

guerres ou la guerre civile… Pour les Britanniques, l’Europe<br />

est avant tout un système économique. Dès lors qu’il semble<br />

marcher moins bien, pourquoi en rester membre ?<br />

Ce vote exprime aussi une révolte contre les « élites », un<br />

refus d’obéissance à ces<br />

politiques qui semblaient<br />

dire : « vous n’avez pas le<br />

choix, il faut rester dans<br />

l’Europe » sans donner<br />

pour autant <strong>de</strong>s raisons<br />

convaincantes. Jusqu’alors cette fron<strong>de</strong> était moins forte<br />

qu’en France ou aux États-Unis. Mais tout a basculé pendant<br />

la campagne <strong>de</strong> référendum.<br />

L’H. : Pensez-vous que cette décision soit une erreur ?<br />

R. T. : On verra. Cela pourrait très mal tourner, mais je ne<br />

le pense pas. Comme la plupart <strong>de</strong>s Britanniques, je n’aime<br />

pas les tendances centralisatrices et non démocratiques <strong>de</strong><br />

l’UE. Et puis les espoirs ou les difficultés que connaît l’UE<br />

ne doivent rien au Royaume-Uni : nous avons conservé<br />

notre monnaie et le Royaume-Uni n’a pas signé, en 1985,<br />

les accords <strong>de</strong> Schengen qui permettent une libre circulation<br />

<strong>de</strong>s hommes. L’Union se retrouve désormais face à ses<br />

problèmes. La sortie <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong>-Bretagne pourrait même<br />

peut-être les simplifier.<br />

« Une chance <strong>de</strong> repenser<br />

notre place dans le mon<strong>de</strong> »<br />

L’H. : N’y a-t-il pas un risque <strong>de</strong> voir rejouer les lignes <strong>de</strong><br />

fracture au sein du Royaume-Uni ?<br />

R. T. : Le pays <strong>de</strong> Galles a voté le « leave » à 52,5 %, ce qui<br />

a beaucoup surpris. C’est en gran<strong>de</strong> partie les agriculteurs<br />

qui se sont exprimés. Comme les paysans français, ils souffraient<br />

<strong>de</strong> la politique agricole commune. En Écosse, le<br />

vote pour le maintien fut très majoritaire. <strong>Les</strong> nationalistes<br />

écossais sont europhiles parce qu’ils pensent que c’est la<br />

chance d’avoir enfin une Écosse indépendante du Royaume-<br />

Uni mais membre <strong>de</strong> l’Union ; 56 % <strong>de</strong>s Nord-Irlandais ont<br />

voté contre la sortie <strong>de</strong> l’UE, essentiellement parce qu’ils<br />

ont peur <strong>de</strong> voir se renforcer la frontière entre le nord et<br />

le sud du pays.<br />

Si le Brexit échoue, ce sera un coup porté au Royaume-<br />

Uni. Cela dopera les nationalistes, notamment écossais.<br />

Mais si le Brexit est un succès, l’effet sera contraire. Dans<br />

tous les cas, le Brexit va confronter le Royaume-Uni à une<br />

redéfinition <strong>de</strong> sa puissance et <strong>de</strong> sa place dans le mon<strong>de</strong>.<br />

Depuis la fin <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale, la doctrine<br />

britannique n’a pas changé : être le meilleur ami <strong>de</strong>s États-<br />

Unis. Or, <strong>de</strong>puis l’élection <strong>de</strong> Donald Trump, cette ligne<br />

est moins attirante. Le Royaume-Uni est une gran<strong>de</strong> puissance<br />

et nous <strong>de</strong>vons nous comporter en tant que telle. La<br />

France peut nous servir<br />

d’exemple : son courage<br />

en 2003 lorsqu’elle<br />

a menacé d’imposer un<br />

veto au Conseil <strong>de</strong> sécurité<br />

<strong>de</strong> l’ONU à l’invasion<br />

<strong>de</strong> l’Irak à laquelle nous avons malheureusement participé<br />

doit nous inspirer.<br />

Le Commonwealth peut être un élément important.<br />

Le Premier ministre australien a déjà manifesté sa<br />

volonté <strong>de</strong> signer un traité <strong>de</strong> commerce avec nous. Mais le<br />

Commonwealth, bien avant notre adhésion à l’Union européenne,<br />

n’était déjà plus un système <strong>de</strong> puissance. C’est d’ailleurs<br />

la raison pour laquelle nous sommes <strong>de</strong>venus membre<br />

<strong>de</strong> l’UE : il fallait, comme la France, une plateforme <strong>de</strong> rayonnement<br />

dans le mon<strong>de</strong>. Beaucoup d’opposants au Brexit<br />

disent que c’est une nostalgie impérialiste qui a guidé les<br />

Britanniques. Je ne le pense pas. Nous avons déjà <strong>de</strong>s liens et<br />

un commerce global plus développés que bien <strong>de</strong>s membres<br />

<strong>de</strong> l’UE. Notre avenir sera <strong>de</strong> jouer sur l’échiquier mondial<br />

avec <strong>de</strong>s attaches moins régionales que dans le passé. n<br />

CRÉDIT DR<br />

90 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77

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