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Les Collections de L’Histoire

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Débat<br />

CRÉDIT DR<br />

Historien irlandais, spécialiste<br />

<strong>de</strong> la Première Guerre mondiale,<br />

John Horne est professeur au<br />

Trinity College Dublin. Il a notamment<br />

publié 1914. <strong>Les</strong> atrocités alleman<strong>de</strong>s<br />

(Tallandier, rééd., 2011).<br />

<strong>L’Histoire</strong> : Avez-vous été surpris par le résultat du référendum<br />

sur le Brexit ?<br />

John Horne : Oui, dans la mesure où je pensais qu’un certain<br />

pragmatisme britannique aurait permis au maintien dans l’UE<br />

<strong>de</strong> l’emporter : la Gran<strong>de</strong>-Bretagne est <strong>de</strong>puis si longtemps<br />

orientée vers l’Europe que les Britanniques ne pouvaient y<br />

renoncer. Mais j’avais <strong>de</strong>s appréhensions car, même dans les<br />

milieux pro-européens, les critiques étaient très fortes.<br />

Il faut dire que peu <strong>de</strong> politiques ont défendu le projet<br />

européen. Depuis une dizaine d’années,<br />

en raison <strong>de</strong> la crise financière,<br />

le courant eurosceptique n’a cessé<br />

<strong>de</strong> progresser. Prenons l’Ukip (UK<br />

In<strong>de</strong>pen<strong>de</strong>nce Party) : ce petit parti<br />

antieuropéen a été fondé en 1993,<br />

mais il n’a vraiment pris son essor qu’en 2006 quand Nigel<br />

Farage en a pris la direction et a orienté son discours sur la<br />

question <strong>de</strong> l’immigration. Et ce n’est qu’en 2014 que l’Ukip<br />

a été propulsé sur le <strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène après sa victoire aux<br />

élections européennes.<br />

L’H. : Mais n’est-ce pas une idée qui vient <strong>de</strong> loin ?<br />

J. H. : Depuis la formation <strong>de</strong> l’État mo<strong>de</strong>rne au xvi e siècle<br />

sous les Tudors, il existe une tension entre la vocation continentale<br />

<strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong>-Bretagne et sa vocation maritime et<br />

mondiale. Le drame, c’est qu’on ne peut pas résoudre l’une<br />

en écartant l’autre. A chaque fois qu’une puissance menace<br />

d’unifier l’Europe sous son contrôle, la Gran<strong>de</strong>-Bretagne,<br />

et surtout l’Angleterre, intervient sur le continent, tout en<br />

rêvant <strong>de</strong> prendre le large. Ce fut le cas à la fin du xvi e siècle<br />

avec l’Espagne <strong>de</strong> Philippe II puis sous Louis XIV, Napoléon<br />

et Hitler. Dans l’imaginaire <strong>de</strong>s Britanniques, l’Angleterre est<br />

aujourd’hui encore menacée par la domination du continent<br />

par une seule puissance, l’UE. D’où l’idée qu’ils doivent se<br />

tourner vers le reste du mon<strong>de</strong>.<br />

L’H. : Est-ce une erreur <strong>de</strong> quitter l’UE aujourd’hui ?<br />

J. H. : Tout dépend <strong>de</strong> quel Brexit il s’agit. S’il est question<br />

d’un Brexit « doux », sur le modèle <strong>de</strong> la Norvège, la Gran<strong>de</strong>-<br />

Bretagne peut poursuivre son développement économique<br />

tout en restant proche <strong>de</strong> l’UE. Mais on peut redouter un<br />

Brexit « dur », dans lequel le Royaume-Uni prendrait ses distances<br />

avec l’Union, sortirait <strong>de</strong> l’union douanière, tout en<br />

essayant <strong>de</strong> négocier un traité <strong>de</strong> libre-échange. On verrait<br />

se dresser une économie britannique rivale <strong>de</strong> l’UE.<br />

Quoi qu’il en soit, c’est avant tout un désastre pour le<br />

Royaume-Uni car c’est la fin <strong>de</strong> l’internationalisme britannique.<br />

La Gran<strong>de</strong>-Bretagne se replie sur elle-même alors que<br />

« Un désastre pour<br />

le Royaume-Uni »<br />

la clé a toujours été <strong>de</strong> maintenir un équilibre entre ses rapports<br />

avec le continent et le reste du mon<strong>de</strong>. Il existe, surtout<br />

en Angleterre, une sorte d’intolérance qui monte. Je ne pense<br />

pas pour autant que ce soit la fin du Royaume-Uni. Mais les<br />

politiques <strong>de</strong> dévolution <strong>de</strong>s pouvoirs vers l’Écosse et le pays<br />

<strong>de</strong> Galles, initiées en 1997 avec l’arrivée au pouvoir <strong>de</strong>s travaillistes<br />

sous Tony Blair, doivent s’intensifier.<br />

Reste le cas <strong>de</strong> l’Irlan<strong>de</strong> du Nord. Lors <strong>de</strong> la campagne<br />

pour le référendum, les politiques anglais ne s’en sont guère<br />

souciés. Pourtant les effets du Brexit se font sentir là-bas<br />

avec le durcissement <strong>de</strong>s rapports entre le parti nationaliste<br />

Sinn Féin et le principal parti unioniste, le Democratic<br />

Unionist Party (DUP). Gran<strong>de</strong> ironie, ce sont ces protestants<br />

du DUP qui ont permis à Theresa May d’obtenir la majorité<br />

à la Chambre <strong>de</strong>s communes lors <strong>de</strong>s élections législatives<br />

<strong>de</strong> juin 2017. Dans la configuration actuelle <strong>de</strong> la politique<br />

britannique, l’Irlan<strong>de</strong> a une puissance extraordinaire.<br />

Pour l’Union européenne, elle est une <strong>de</strong>s priorités<br />

dans les négociations avec le Royaume-Uni. Tout est possible…<br />

Mais il me semble difficile <strong>de</strong> concevoir, dans le<br />

cadre d’un Brexit dur, une Irlan<strong>de</strong><br />

sans une vraie frontière politique et<br />

économique entre le Nord et le Sud.<br />

Pourtant cela contreviendrait aux<br />

accords <strong>de</strong> Belfast signés en 1998.<br />

L’H. : Et pour l’UE, le Brexit est-il un danger ?<br />

J. H. : Je pense que la Gran<strong>de</strong>-Bretagne va manquer à l’Union<br />

européenne. Par son adhésion à la vision libre-échangiste du<br />

projet, elle était un contrepoids à la dimension plus politique<br />

qui est au cœur <strong>de</strong>s rapports franco-allemands. Cela donnait<br />

un fort soutien aux pays du nord comme les Pays-Bas,<br />

la Pologne ou la Suè<strong>de</strong>. De l’autre côté, les Anglais les plus<br />

enclins à <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r la sortie dure <strong>de</strong> l’UE se font beaucoup<br />

d’illusions sur leur capacité à réussir indépendamment dans<br />

le mon<strong>de</strong>. Je ne dis pas que c’est impossible, mais je pense que<br />

la transition sera très difficile. Le Commonwealth compte peu<br />

dans ces questions-là. Qu’est-ce que c’est le Commonwealth ?<br />

C’est un rassemblement culturel <strong>de</strong> langue anglaise, une<br />

association quasi familiale. Mais cela n’a jamais été, ou très<br />

peu, une unité économique.<br />

Tout le paradoxe du Brexit est là. Le discours dominant en<br />

Angleterre est <strong>de</strong> dire qu’en cas <strong>de</strong> sortie <strong>de</strong> l’union douanière<br />

il suffira d’établir <strong>de</strong>s accords très favorables avec le reste<br />

du mon<strong>de</strong> (In<strong>de</strong>, Chine…). C’est paradoxal parce que l’UE<br />

représente le plus grand marché actuel pour le Royaume-<br />

Uni, et que ses rapports commerciaux avec le reste du mon<strong>de</strong><br />

s’effectuent à travers elle. Il va falloir trouver <strong>de</strong>s accords qui<br />

soient plus avantageux pour les Britanniques que ceux qui<br />

existent actuellement avec l’UE.<br />

C’est une ironie délicieuse que le film Dunkerque <strong>de</strong><br />

Christopher Nolan, sur le sauvetage en 1940 du corps expéditionnaire<br />

britannique à Dunkerque, sorte l’année où la<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne déclenche son départ <strong>de</strong> l’Union européenne.<br />

Tout est là : la Manche est un profond fossé entre<br />

une i<strong>de</strong>ntité anglaise et le reste du mon<strong>de</strong>. Pourtant ce film<br />

est une coproduction, comme souvent, entre la Gran<strong>de</strong>-<br />

Bretagne, les États-Unis, la France et les Pays-Bas. n<br />

(Propos recueillis par Fabien Paquet.)<br />

LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77 91

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