Les Collections de L’Histoire
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Une nation partagée entre ferveur<br />
commémorative <strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong> Guerre<br />
et lassitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s opérations militaires<br />
DINENDRA HARIA/CITIZENSIDE/AFP<br />
A partir <strong>de</strong>s années 1950, les Britanniques doivent<br />
faire face à un <strong>de</strong>rnier défi : la disparition progressive<br />
<strong>de</strong> l’empire, autour duquel l’armée avait construit sa<br />
puissance et sa culture nationale. En octobre 1952,<br />
après avoir déclaré l’état d’urgence, Londres engage<br />
une répression militaire à l’encontre du mouvement<br />
<strong>de</strong>s Mau-Mau, au Kenya, qui fera entre 10 000 et<br />
20 000 morts parmi les rebelles durant les huit ans<br />
<strong>de</strong> guerre. <strong>Les</strong> <strong>de</strong>ux conflits les plus meurtriers pour<br />
l’armée anglaise <strong>de</strong>puis 1945 sont l’insurrection en<br />
Malaisie, alors colonie britannique (1948-1960), et l’Irlan<strong>de</strong><br />
du Nord (1969-2007), avec environ 1 400 morts<br />
anglais dans chaque conflit.<br />
En soixante-dix ans, l’Angleterre aura perdu<br />
7 100 combattants dans <strong>de</strong>s conflits divers – soit un<br />
peu plus d’un tiers du nombre <strong>de</strong> morts le 1 er juillet<br />
1916 ! La perte d’influence du Royaume-Uni dans l’espace<br />
mondial se double <strong>de</strong> plusieurs défaites, comme<br />
l’échec <strong>de</strong> l’opération <strong>de</strong> Suez, à la suite <strong>de</strong> la nationalisation<br />
par Nasser, en juillet 1956, <strong>de</strong> la Compagnie du<br />
canal, dont le gouvernement britannique était <strong>de</strong> loin<br />
le plus gros actionnaire.<br />
Dans le même temps, l’équilibre nucléaire a définitivement<br />
repoussé la perspective d’une intervention<br />
militaire britannique sur le continent européen. Le rôle<br />
<strong>de</strong> la marine anglaise, dont Basil H. Lid<strong>de</strong>ll Hart avait<br />
souligné l’importance dans l’histoire militaire nationale,<br />
se trouve réévalué. C’est le cas lors <strong>de</strong> la guerre <strong>de</strong>s<br />
Falklands (ou <strong>de</strong>s Malouines), un territoire proche <strong>de</strong><br />
l’Antarctique, riche en matières premières et disputé<br />
entre la Gran<strong>de</strong>-Bretagne et l’Argentine, qui donne lieu,<br />
en avril-juin 1982, à l’une <strong>de</strong>s rares batailles navales<br />
<strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong> la Secon<strong>de</strong> Guerre mondiale.<br />
Cette opération à haut risque, combinant <strong>de</strong>s<br />
attaques par les sous-marins nucléaires anglais, <strong>de</strong>s<br />
avions dotés <strong>de</strong> missiles français Exocet et les forces<br />
spéciales, s’achève avec 255 morts dans les rangs britanniques.<br />
Mais elle entraîne également un renouveau<br />
<strong>de</strong> popularité pour le Premier ministre Margaret<br />
Thatcher, triomphalement réélue aux élections générales<br />
<strong>de</strong> 1983, alors que l’opinion publique était initialement<br />
divisée entre partisans et adversaires<br />
<strong>de</strong> l’intervention.<br />
Dans les années 1990, le Royaume-Uni participe<br />
à la coalition internationale contre le régime <strong>de</strong><br />
Saddam Hussein après l’invasion du Koweït (1991) et<br />
aux frappes aériennes <strong>de</strong> l’Otan contre la Serbie lors <strong>de</strong><br />
la guerre du Kosovo (1999). En 2000, les Britanniques<br />
interviennent encore dans la guerre civile au Sierra<br />
Leone, où <strong>de</strong>s soldats anglais ont été enlevés par <strong>de</strong>s<br />
rebelles. Plus contestées, les guerres en Afghanistan<br />
(2001) où les troupes sont déployées essentiellement<br />
dans le sud du pays ; en Irak (2003), quand le Premier<br />
ministre Tony Blair est accusé d’avoir délibérément<br />
surévalué la menace irakienne pour faire basculer<br />
l’opinion en faveur <strong>de</strong> la guerre ; enfin en Libye (2011),<br />
Lassitu<strong>de</strong> La guerre d’Irak en 2003 entraîne une vague <strong>de</strong> contestations<br />
contre Tony Blair, accusé <strong>de</strong> mentir sur les armes <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction massive<br />
possédées par Saddam Hussein et <strong>de</strong> servir les intérêts <strong>de</strong>s États-Unis.<br />
dont l’instabilité chronique après la chute du régime<br />
<strong>de</strong> Mouammar Kadhafi est parfois reprochée aux dirigeants<br />
européens, notamment au Premier ministre<br />
David Cameron. En août 2013, pour la première fois,<br />
le Parlement britannique oppose son veto lors du vote<br />
sur une intervention en Syrie. « La Gran<strong>de</strong>-Bretagne est<br />
passée du statut <strong>de</strong> caniche <strong>de</strong>s États-Unis à celui d’un pays<br />
qui défend une politique alternative à l’utilisation sans fin<br />
<strong>de</strong> missiles <strong>de</strong> croisière et <strong>de</strong> bombes pour essayer <strong>de</strong> changer<br />
la donne politique dans le mon<strong>de</strong> arabe », explique le<br />
député travailliste et ancien ministre <strong>de</strong>s Affaires européennes<br />
britannique Denis MacShane.<br />
Paradoxe d’une nation partagée entre une ferveur<br />
commémorative au moment du centenaire <strong>de</strong> la<br />
Gran<strong>de</strong> Guerre et une lassitu<strong>de</strong> lorsqu’il s’agit d’engager<br />
<strong>de</strong>s opérations militaires à l’étranger. Comme tous<br />
les autres pays occi<strong>de</strong>ntaux, le Royaume-Uni est désormais<br />
confronté à <strong>de</strong>s choix difficiles, entre réduction<br />
du budget <strong>de</strong> la Défense (plus <strong>de</strong> 9 % <strong>de</strong>puis 2008),<br />
diminution constante <strong>de</strong>s personnels militaires et une<br />
menace multiple liée au développement du terrorisme.<br />
En 2013, le chef d’état-major britannique concluait son<br />
rapport annuel sur le risque que le Royaume-Uni dispose<br />
à l’avenir d’une « armée creuse » – qui aura perdu,<br />
entre 2010 et 2020, près <strong>de</strong> 50 000 personnels – avec<br />
l’apparence <strong>de</strong> la puissance mais l’incapacité matérielle<br />
et financière <strong>de</strong> s’en servir. n<br />
NOTES<br />
8. Cf. S. Garon,<br />
When Home<br />
Fronts Became<br />
Battlegrounds.<br />
A Transnational<br />
History of<br />
Japan, Germany,<br />
and Britain in<br />
World War II,<br />
à paraître.<br />
9. A. Cal<strong>de</strong>r,<br />
The Myth of the<br />
Blitz, Londres,<br />
Jonathan Cape,<br />
1991.<br />
LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77 77