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Les Collections de L’Histoire

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Débat<br />

HENRI II, ROI OU EMPEREUR ?<br />

Royaume ou empire ? Donner un nom commun à l’ensemble <strong>de</strong>s terres placées sous<br />

la domination du Plantagenêt fait débat chez les historiens anglais et français.<br />

David Bates :<br />

« Articuler<br />

les différences »<br />

Oui, on peut parler d’un Empire<br />

plantagenêt pour plusieurs<br />

raisons. Le mot « empire »<br />

est un moyen d’exprimer l’alliage<br />

<strong>de</strong> territoires dominés par Henri II, dans le cadre<br />

d’un État assez fort pour l’époque. Il faut bien un mot<br />

pour désigner ce pouvoir extraordinaire. Mais il faut<br />

avoir conscience <strong>de</strong> ce que renferme ledit mot. Chaque<br />

empire doit être qualifié pour lui-même. Ce n’est<br />

évi<strong>de</strong>mment pas un <strong>de</strong>s empires du xix e siècle… Dans<br />

le cas <strong>de</strong>s Plantagenêts, les rois ont cherché à faire naître<br />

<strong>de</strong>s ressemblances entre leurs territoires (lois<br />

communes, monnaies, justice…), mais cela reste limité.<br />

Le problème <strong>de</strong> l’« Empire plantagenêt » est aussi<br />

celui <strong>de</strong> sa naissance et <strong>de</strong> sa définition plurielles. Depuis<br />

1066, au cœur <strong>de</strong> l’empire, il y a toujours la Normandie,<br />

toujours l’Angleterre. Autour ont ensuite gravité<br />

d’autres principautés (pays <strong>de</strong> Galles, Aquitaine, etc.).<br />

L’Empire plantagenêt est au fond semblable et différent<br />

<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Guillaume le Conquérant. Et, au Moyen Age,<br />

la légitimité <strong>de</strong> la continuité est la plus forte <strong>de</strong> toutes.<br />

.<br />

Mathieu<br />

Arnoux :<br />

« Un dominion<br />

atlantique »<br />

Le terme d’Empire plantagenêt<br />

n’est pas opératoire en termes<br />

d’histoire économique. Il ne fait référence qu’à une<br />

union personnelle d’un ensemble d’espaces composites<br />

unis par un principe <strong>de</strong> souveraineté. Force est<br />

d’admettre malgré tout que, d’un point <strong>de</strong> vue politique,<br />

l’espace plantagenêt trouve une cohérence dans son<br />

idéologie et sa vision <strong>de</strong>s institutions étatiques. Mais<br />

cela se brise sur <strong>de</strong>ux éléments. D’abord les structures<br />

mises en place par la monarchie franque : elles sont<br />

certes plus archaïques, mais plus soli<strong>de</strong>s.<br />

Le <strong>de</strong>uxième élément est l’absence <strong>de</strong> cohérence<br />

entre les espaces politiques et économiques. Dès le<br />

xii e siècle, l’Angleterre s’insère dans <strong>de</strong>ux espaces<br />

économiques différents. Le premier la lie au nord du<br />

continent par-<strong>de</strong>là les « narrow seas », les mers étroites<br />

que sont la Manche et la mer du Nord. Cet espace<br />

maritime est dès avant 1200 l’un <strong>de</strong>s lieux majeurs<br />

<strong>de</strong> l’économie européenne.Le second espace est celui<br />

dont l’Angleterre a besoin pour assurer la croissance<br />

<strong>de</strong> sa population. Malgré la qualité <strong>de</strong> son agriculture,<br />

elle ne produit pas <strong>de</strong> quoi satisfaire ses besoins. Face<br />

à une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> croissante, la possession <strong>de</strong> l’Aquitaine<br />

tombe à point et complète la ration alimentaire du<br />

royaume : vins, céréales, fruits. Cette nécessité explique<br />

l’acharnement anglais à conserver ses possessions<br />

continentales. C’est bien, avec l’Aquitaine, une relation<br />

<strong>de</strong> domination qui se met en place : elle ne produit<br />

que ce dont l’Angleterre a besoin. Plutôt que d’empire,<br />

on pourrait donc parler <strong>de</strong> dominion pour l’Aquitaine.<br />

Mais la Normandie ne pouvait pas n’être qu’un<br />

dominion. Son rapport avec l’Angleterre n’a jamais<br />

été résolu.En outre, la concurrence entre la France<br />

et l’Angleterre impliquait que la haute Normandie<br />

entre dans l’orbite capétienne. La construction<br />

<strong>de</strong> l’État français ne laissait aucune autre possibilité.<br />

Jean-Philippe Genet :<br />

« Un empire non territorial »<br />

Si l’on parle d’empire pour<br />

les Plantagenêts, c’est surtout<br />

pour ne pas galvau<strong>de</strong>r le titre<br />

<strong>de</strong> roi. Le Plantagenêt est le roi<br />

d’Angleterre, un point c’est tout.<br />

Pour le reste, il a un autre statut<br />

qui fait <strong>de</strong> lui <strong>de</strong> fait un souverain,<br />

mais il n’est pas roi : il est<br />

duc <strong>de</strong> Normandie, il est comte<br />

d’Anjou, il est seigneur d’Irlan<strong>de</strong>. Simplement, tous<br />

ces pouvoirs se rejoignent en sa personne et c’est<br />

en ce sens qu’on peut parler d’empire ; c’est un empire<br />

qui est vraiment personnel. Il n’y a pas d’institution.<br />

Mais aussi grand soit-il, il ne faut surtout pas se<br />

représenter cet empire <strong>de</strong> façon territoriale. C’est<br />

souvent le défaut quand on envisage le pouvoir dans<br />

le mon<strong>de</strong> médiéval. C’est avant tout un pouvoir<br />

qui repose sur <strong>de</strong>s relations d’homme à homme : un<br />

pouvoir <strong>de</strong> type féodal, qui repose sur la relation<br />

personnelle entre un souverain et ses vassaux, ou plus<br />

exactement ceux qu’il considère comme ses vassaux,<br />

ces <strong>de</strong>rniers ayant souvent un avis différent. C’est<br />

pour cela que je préfère absolument le terme d’empire<br />

à celui d’espace, proposé par certains auteurs.<br />

<strong>Les</strong> <strong>Collections</strong> <strong>de</strong> <strong>L’Histoire</strong> n° 59, avril 2013.<br />

David Bates,<br />

ancien<br />

directeur<br />

<strong>de</strong> l’Institute<br />

of Historical<br />

Research,<br />

auteur <strong>de</strong><br />

The Normans<br />

and Empire<br />

(Oxford,<br />

2013).<br />

Mathieu<br />

Arnoux,<br />

professeur<br />

d’histoire<br />

médiévale<br />

à Paris-VII.<br />

Jean-Philippe<br />

Genet,<br />

professeur<br />

d’histoire<br />

médiévale<br />

à Paris-I.<br />

DR<br />

22 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77

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