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Les Collections de L’Histoire

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Lord Macaulay, historien national<br />

Avant le xix e siècle, il n’existe<br />

guère d’histoire « nationale »<br />

en Gran<strong>de</strong>-Bretagne en <strong>de</strong>hors<br />

<strong>de</strong> quelques tentatives dues à une<br />

femme, Mrs Macaulay, à un Écossais,<br />

Hume, et à un prêtre catholique,<br />

Lingard. Certes, il existe une chaire<br />

d’histoire à Oxford <strong>de</strong>puis 1622,<br />

mais ses détenteurs enseignent<br />

une philosophie <strong>de</strong> l’histoire pour<br />

gentlemen. C’est <strong>L’Histoire</strong><br />

d’Angleterre <strong>de</strong>puis l’avénement <strong>de</strong><br />

Jacques II <strong>de</strong> lord Macaulay (ci-contre)<br />

qui au xix e siècle marque la<br />

renaissance <strong>de</strong> l’histoire en<br />

Angleterre. Comme celle <strong>de</strong> Mrs Macaulay (aucun lien<br />

<strong>de</strong> parenté), elle débute par la Glorieuse Révolution <strong>de</strong><br />

1688 : whig, c’est-à-dire libérale, mais aussi protestante<br />

et impériale, elle est dominée par la Gran<strong>de</strong>-Bretagne,<br />

vouée à <strong>de</strong>venir la première puissance mondiale<br />

et à produire le meilleur <strong>de</strong>s systèmes politiques, la<br />

monarchie parlementaire. Macaulay cependant est<br />

encore un « amateur ». Le premier<br />

grand historien nommé à Oxford est<br />

William Stubbs. Il fait remonter le<br />

<strong>de</strong>stin exceptionnel <strong>de</strong> l’Angleterre<br />

aux Anglo-Saxons : sa Constitutionnal<br />

History of England (1874-1878)<br />

réintroduit l’histoire médiévale<br />

dans la vision whig qui domine<br />

l’historiographie jusqu’à l’attaque<br />

<strong>de</strong> Herbert Butterfield (The<br />

Englishman and His History, 1944).<br />

L’histoire britannique reste<br />

pourtant purement anglaise, les<br />

autres « nations » se consolant avec<br />

l’existence <strong>de</strong> départements<br />

universitaires d’histoire écossaise, galloise et irlandaise<br />

dont les historiens publient dans leurs langues. La<br />

problématique <strong>de</strong>s « quatre nations » et <strong>de</strong> l’écriture<br />

d’une histoire vraiment britannique n’est apparue que<br />

récemment avec Hugh Kearney (The British Isles. A<br />

History of Four Nations, 1989), Keith Robbins et Linda<br />

Colley (Britons. Forging the Nation, 1707-1837, 1992).<br />

<strong>de</strong> l’Australie et <strong>de</strong> la Nouvelle-Zélan<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong> la<br />

fin du xviii e siècle, tandis qu’au xix e l’empire s’étend à<br />

l’Afrique <strong>de</strong> l’Ouest (Sierra Leone, Côte-<strong>de</strong>-l’Or, Nigeria)<br />

et à celle <strong>de</strong> l’Est, <strong>de</strong> l’Égypte au Cap.<br />

Le troisième élément est le produit <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux premiers<br />

: une i<strong>de</strong>ntité est d’autant plus forte qu’elle se forge<br />

contre un ennemi. L’ennemi initial <strong>de</strong> l’Angleterre protestante<br />

a été l’Espagne <strong>de</strong> Philippe II (1556-1598), bientôt<br />

remplacée par la France, qui est à partir du règne <strong>de</strong><br />

Louis XIV à la fois une puissance catholique et une rivale<br />

dans la construction d’un empire maritime et colonial.<br />

L’opposition à la France est ainsi l’un <strong>de</strong>s grands ferments<br />

du sentiment national britannique. Mais qu’il s’agisse <strong>de</strong><br />

la monarchie absolue <strong>de</strong>s Bourbons, <strong>de</strong> la Révolution<br />

française, bien qu’en partie suscitée par les idées venues<br />

d’Angleterre et assimilées par Montesquieu et Voltaire,<br />

ou <strong>de</strong> l’épopée napoléonienne, la France est aussi vue<br />

comme le pays du <strong>de</strong>spotisme, et à ce titre le pire ennemi<br />

<strong>de</strong>s libertés dont jouissent les Anglais.<br />

UN COMMONWEALTH OF NATIONS<br />

Car le quatrième pilier <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité britannique<br />

est le libéralisme : il est d’origine whig mais transcen<strong>de</strong><br />

l’esprit partisan. D’ailleurs, l’ouvrage historique le plus<br />

populaire du xix e siècle est l’Histoire d’Angleterre <strong>de</strong>puis<br />

l’avènement <strong>de</strong> Jacques II <strong>de</strong> Macaulay qui est en fait<br />

une histoire <strong>de</strong> la Glorieuse Révolution. Macaulay avait<br />

prévu d’aller plus loin, mais la mort l’en empêche. Tel<br />

quel, c’est un immense succès qui impose la vision d’une<br />

Gran<strong>de</strong>-Bretagne à la fois libérale et conquérante : la<br />

Glorieuse Révolution, c’est la victoire du protestantisme<br />

et du libéralisme, la véritable union puisque<br />

l’Écosse a librement reconnu la reine Marie et son époux<br />

Guillaume d’Orange. C’est aussi l’espoir d’une Irlan<strong>de</strong><br />

protestante avec l’écrasement <strong>de</strong>s catholiques et <strong>de</strong>s<br />

partisans <strong>de</strong> Jacques II à la bataille <strong>de</strong> la Boyne (1690).<br />

Cet événement fondateur rejette dans un obscur<br />

passé un Moyen Age catholique et la tyrannie <strong>de</strong>s rois<br />

Tudors et Stuarts. Il marque le début du nouvel empire<br />

britannique, l’empire <strong>de</strong>s Britanniques sur le mon<strong>de</strong><br />

entier, même s’il reste dominé par l’Angleterre.<br />

La gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> l’œuvre civilisatrice et la formidable<br />

activité industrielle et commerciale engendrée par l’empire<br />

furent un sujet <strong>de</strong> fierté pour tous ceux qui y participèrent.<br />

Elles ont formé un puissant levier i<strong>de</strong>ntitaire pour<br />

tous les sujets <strong>de</strong> ce qui est <strong>de</strong>venu la première puissance<br />

mondiale à la fin du xix e siècle. Depuis 1949, l’empire<br />

a fait place au Commonwealth of Nations qui regroupe<br />

aujourd’hui 53 pays anglophones indépendants. Mais<br />

la fierté est restée, renforcée par les épreuves subies en<br />

commun pendant les <strong>de</strong>ux guerres mondiales.<br />

En quoi cette puissante i<strong>de</strong>ntité pourrait-elle donc<br />

être mise en danger par le Brexit ? Constatons d’abord<br />

que les piliers <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité n’ont pas disparu :<br />

moins <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s 65 millions <strong>de</strong> Britanniques<br />

sont aujourd’hui chrétiens, mais la Church of England<br />

(anglicane) reste l’Église officielle. L’empire n’est<br />

plus, mais le Commonwealth est bien là. Si la France<br />

n’est plus l’ennemi héréditaire <strong>de</strong>puis longtemps, sa<br />

« monarchie prési<strong>de</strong>ntielle » est loin d’être un idéal politique<br />

outre-Manche.<br />

Reste que les Britanniques n’ont plus la même puissance.<br />

Est-elle suffisante pour gar<strong>de</strong>r toute sa vitalité à<br />

l’i<strong>de</strong>ntité britannique, en refoulant les souvenirs d’un<br />

premier empire britannique dont ils retrouvent maintenant<br />

le territoire, et faire oublier la brutale colonisation<br />

du pays <strong>de</strong> Galles et <strong>de</strong> l’Irlan<strong>de</strong> et les tentatives <strong>de</strong><br />

domination <strong>de</strong> l’Écosse ? L’histoire le dira, mais le Brexit<br />

a déjà commencé à faire resurgir un passé lointain que<br />

les politiques ten<strong>de</strong>nt à minimiser malgré son impact,<br />

déja visible notamment avec l’épineux problème <strong>de</strong> la<br />

frontière entre l’Irlan<strong>de</strong> et l’Irlan<strong>de</strong> du Nord. n<br />

HERITAGE IMAGES/LEEMAGE<br />

16 LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77

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