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Les Collections de L’Histoire

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Sans son empire, vaste réservoir <strong>de</strong> matières<br />

premières, la Gran<strong>de</strong>-Bretagne n’aurait<br />

pas connu une telle révolution industrielle<br />

MANCHESTER ART GALLERY/BRIDGEMAN IMAGES<br />

>>> les années 1860, le bétail, le lait, les légumes, les<br />

fleurs, la vian<strong>de</strong> et le poisson frais sont acheminés en<br />

train, ravitaillant <strong>de</strong>s villes en pleine expansion.<br />

Au cours du siècle qui suit 1750, les industries<br />

essentielles – les mines, le fer, le textile, les transports –<br />

cessent <strong>de</strong> dépendre du charbon <strong>de</strong> bois, <strong>de</strong>s chevaux<br />

et <strong>de</strong> la force hydraulique, et passent au charbon. Non<br />

sans conséquences sanitaires. <strong>Les</strong> houillères dévorent<br />

les hommes : dans les années 1840, alors que le pays<br />

compte environ 200 000 mineurs, 1 400 d’entre eux<br />

meurent d’acci<strong>de</strong>nt chaque année. On explore maintenant<br />

une autre dimension : les maladies respiratoires,<br />

qui tuent 50000 à 70000 personnes par an en<br />

Angleterre-Galles à la fin du xix e siècle. L’historien <strong>de</strong><br />

l’environnement John McNeill estime que, entre 1840 et<br />

1900, 800000 à 1,4 million <strong>de</strong> Britanniques sont morts<br />

<strong>de</strong> maladies respiratoires dues au charbon.<br />

LES RESSOURCES DE L’EMPIRE<br />

Mais les leviers <strong>de</strong> la révolution industrielle ne sont<br />

pas uniquement sur ou sous son sol. Pourquoi l’Angleterre<br />

et pas la Chine ? L’historien américain Kenneth<br />

Pomeranz a souligné qu’au xv e siècle, en termes d’efficacité<br />

agricole, d’organisation sociale, <strong>de</strong> biens <strong>de</strong><br />

consommation, <strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> population et même <strong>de</strong><br />

technologie <strong>de</strong> navigation et militaire, l’est <strong>de</strong> l’Eurasie<br />

(<strong>de</strong> l’Empire ottoman jusqu’à l’In<strong>de</strong>, à la Chine et<br />

au Japon) n’est pas moins avancé que les petits Étatsnations<br />

d’Europe occi<strong>de</strong>ntale 3 . En 1800, l’espérance <strong>de</strong><br />

vie est supérieure dans la vallée du Yangtsé à ce qu’elle<br />

est en Angleterre, et le niveau <strong>de</strong> vie y est comparable ;<br />

en 1900, il est huit fois inférieur.<br />

La divergence commence à la charnière <strong>de</strong>s xviii e<br />

et xix e siècles. Pomeranz i<strong>de</strong>ntifie <strong>de</strong>ux avantages clés<br />

<strong>de</strong> la Gran<strong>de</strong>-Bretagne : l’abondance <strong>de</strong> charbon et la<br />

domination sur le Nouveau Mon<strong>de</strong>, vaste réservoir <strong>de</strong><br />

matières premières. En particulier, la suprématie navale<br />

et les importations d’Amérique sont cruciales : jamais<br />

l’agriculture britannique n’aurait pu produire le coton,<br />

le sucre, le bois – puis la vian<strong>de</strong>, le blé, la laine – qu’elle<br />

importe d’Amérique du Nord. La Gran<strong>de</strong>-Bretagne dispose<br />

<strong>de</strong> surfaces cultivables, forestières et <strong>de</strong> pâturages<br />

limitées, mais elle bénéficie <strong>de</strong> dizaines <strong>de</strong> millions<br />

d’« hectares fantômes » aux Antilles et en Amérique<br />

du Nord. La Chine n’a pas d’empire et ne peut utiliser<br />

l’environnement d’autres régions du mon<strong>de</strong>.<br />

Si la Gran<strong>de</strong>-Bretagne a, la première, aboli la traite<br />

négrière en 1807, l’esclavage colonial a aussi joué son<br />

rôle dans son industrialisation. Elle n’est certes pas la<br />

seule puissance esclavagiste, mais c’est la plus importante<br />

: au cours <strong>de</strong> quelque 11 000 voyages, les armateurs<br />

britanniques ont transporté plus <strong>de</strong> 3 millions<br />

d’esclaves, soit le quart <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> la traite transatlantique.<br />

L’argent dégagé dans ce commerce et dans<br />

l’économie <strong>de</strong> plantation <strong>de</strong>s Caraïbes par les armateurs,<br />

les planteurs, les banquiers, est rapatrié, alimentant<br />

Empire Au tournant <strong>de</strong>s années 1930, cette campagne <strong>de</strong> l’Empire<br />

Marketing Board rappelle les origines <strong>de</strong>s importations <strong>de</strong> productions<br />

coloniales par la Gran<strong>de</strong>-Bretagne (affiche <strong>de</strong> Richard Tennant Cooper).<br />

l’essor commercial du xviii e siècle. Cela fera écrire à<br />

Marx que le capital est arrivé au mon<strong>de</strong> « suant le sang<br />

et la boue par tous les pores » 4 .<br />

Paradoxalement, l’abolition <strong>de</strong> l’esclavage, en 1833,<br />

contribue à l’essor industriel <strong>de</strong>s années 1830 et 1840 :<br />

les 20 millions <strong>de</strong> livres <strong>de</strong> compensation accordées par<br />

le Parlement aux propriétaires représentent alors une<br />

somme colossale, 40 % du budget <strong>de</strong> l’État, permettant<br />

à <strong>de</strong> nombreuses fortunes <strong>de</strong> se développer et d’investir<br />

dans les secteurs dynamiques <strong>de</strong> l’économie 5 .<br />

Enfin, l’Amérique du Nord et les Caraïbes importent<br />

<strong>de</strong> Gran<strong>de</strong>-Bretagne une part importante <strong>de</strong> leurs produits<br />

: l’empire n’est pas seulement une ressource, c’est<br />

un débouché. L’industrie cotonnière d’In<strong>de</strong> se voit imposer<br />

la compétition <strong>de</strong> productions britanniques désormais<br />

plus concurrentielles ; elle est largement détruite,<br />

ce qui contribue à l’appauvrissement du sous-continent<br />

au xix e siècle. L’empire joue donc un rôle essentiel dans<br />

l’industrialisation britannique.<br />

La révolution industrielle transforme les classes<br />

sociales. La middle class (bourgeoisie) s’affirme plus<br />

nettement avec <strong>de</strong>s intérêts, <strong>de</strong>s valeurs, <strong>de</strong>s aspirations<br />

qui lui sont propres. Un entrepreneur comme Thomas<br />

Brassey (1805-1870) emploie jusqu’à 80 000 hommes<br />

et fait construire <strong>de</strong>s lignes <strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> fer sur cinq<br />

continents. La fortune d’un Brunel ou d’un banquier à<br />

succès dépasse celle <strong>de</strong>s propriétaires terriens cossus. A<br />

partir <strong>de</strong> la réforme électorale <strong>de</strong> 1832, la bourgeoisie<br />

partage le pouvoir politique avec l’aristocratie.<br />

La législation limite l’impact <strong>de</strong>s faillites et, <strong>de</strong> façon<br />

plus générale, les institutions parlementaires favorisent<br />

le développement capitaliste du pays. En 1846,<br />

le libre-échange remporte une victoire décisive, avec<br />

l’abrogation <strong>de</strong>s lois protectionnistes sur les >>><br />

NOTES<br />

3. K. Pomeranz,<br />

Une gran<strong>de</strong><br />

divergence,<br />

Albin Michel,<br />

2010.<br />

4. K. Marx,<br />

« Genèse du<br />

capitalisme<br />

industriel »,<br />

Le Capital,<br />

chap. XXXI,<br />

1867.<br />

5. Cf.<br />

N. Draper,<br />

The Price of<br />

Emancipation.<br />

Slave-Ownership,<br />

Compensation<br />

and British<br />

Society at the<br />

End of Slavery,<br />

Cambridge<br />

University<br />

Press, 2010.<br />

Voir aussi<br />

le projet<br />

« Legacies<br />

of British<br />

Slave-<br />

Ownership ».<br />

LES COLLECTIONS DE L’HISTOIRE N°77 63

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