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10.pdf - Formules

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DOMINIQUE BUISSET<br />

l’infériorité de l’écriture, Platon est l’un de ceux qui lui apportent — en<br />

apparence contre son propre discours — une efficace et un lustre nouveaux,<br />

et c’est d’une façon réfléchie qu’il se donne, pour les fins de la philosophie,<br />

les moyens de l’art. On a vu, déjà, qu’il y a une « comédie » du Phèdre :<br />

c’est un des artifices de la « tékhne » (l’un des moyens techniques de l’art)<br />

littéraire que Platon met en œuvre. Le pastiche en est un autre : animant<br />

les personnages et le dialogue même, il rend l’ensemble « vivant ». Façon<br />

de parler… mais on voit sans peine comment le pastiche peut tenir sa<br />

partie dans la création de l’oralité fictive : tout en jouant sur l’implicite<br />

et la complicité entre les interlocuteurs, il rattache plus étroitement le<br />

texte à des choses connues des lecteurs. Le pastiche est aussi, en lui-même,<br />

un objet « panique » : offrant une image redoublée dans le grotesque de<br />

l’objet caricaturé, il ne permet pas de discerner, dans le couple ainsi formé,<br />

ce qui relève du là-haut et de l’ici-bas 59 ; et, en faisant surgir brutalement<br />

une image difforme dans ce qui était perçu jusqu’alors comme beau, il<br />

engendre — on le voit chez Phèdre — un saisissement proprement<br />

panique…<br />

Peut-on apercevoir, dans la littérature et la philosophie du IV e siècle<br />

quelque chose comme un « courant panique » — peut-être informel —<br />

d’interrogation et de réflexion sur la langue et sur l’écriture, sur le discours<br />

et sur la poésie ?<br />

Sans prétendre à une démonstration scientifique, on peut essayer de<br />

réunir les fils qui ont été suivis jusqu’ici : ils nous font un devoir au moins<br />

de rêver sur quelques hypothèses…<br />

Cléarque de Soles, auditeur direct d’Aristote — lui-même auditeur<br />

direct de Platon —, est l’auteur d’au moins deux livres consacrés au plus<br />

ancien des deux maîtres : un Éloge de Platon 60 , et un autre, intitulé Les<br />

exposés mathématiques de La République de Platon 61 . Le même Cléarque<br />

de Soles, dans son livre Les Énigmes 62 , cite cinq vers d’un Hymne à Pan de<br />

son compatriote, et au moins partiellement contemporain, Castorion de<br />

Soles. Même si le système est différent, il s’agit de vers « à permutation »,<br />

comme ceux de la fictive « épitaphe de Midas » que Platon lui-même<br />

insère dans le Phèdre, à proximité immédiate d’une référence à Pan, qui<br />

sera le destinataire de la prière finale, et qui figure la double nature du<br />

langage dans le Cratyle. Or, de même que Platon pose pour la philosophie<br />

la question du passage à l’écrit, Castorion, dans son Hymne à Pan, semble<br />

la poser pour la poésie. Il le dit explicitement : il va louer Pan « dans un<br />

59 Cf. le passage du Cratyle déjà cité précédemment (n. 44).<br />

60 fr. 2a Wehrli.<br />

61 fr. 3-4 Wehrli.<br />

62 fr. 84-95 Wehrli.<br />

195

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