Cambodge : quel modèle concessionnaire ? - fasopo
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Privatisation de l’Etat et gestion de l’extraversion<br />
Le <strong>modèle</strong> de la concession est en effet l’une des principales modalités de la « privatisation de<br />
l’Etat » et du processus de délégation à des acteurs privés de fonctions qui lui étaient<br />
antérieurement dévolues 109 ; la plupart des fonctions régulatrices du secteur forestier ont de<br />
fait été déléguées au secteur privé. C’est au <strong>concessionnaire</strong> d’établir les termes du contrat et<br />
les plans de gestion forestière, c’est au <strong>concessionnaire</strong> encore de définir les projets<br />
d’infrastructures, c’est au <strong>concessionnaire</strong> aussi de s’assurer du respect des textes et normes<br />
d’exploitation, c’est au <strong>concessionnaire</strong> enfin de faire la police… Les développements<br />
précédents permettent aisément de comprendre comment et pourquoi ce système de<br />
délégation n’a pu générer une auto discipline et une auto réglementation. Il s’est très<br />
littéralement traduit par la « transformation de braconniers en gardes-chasse 110 » laissant carte<br />
blanche aux <strong>concessionnaire</strong>s et à leurs sous-traitants, les incitant à exploiter de façon<br />
intensive, sur <strong>quel</strong>ques années, les zones concédées puis à quitter le pays ou la zone,<br />
favorisant une gestion de court terme en l’absence de tout contrôle effectif de la part de<br />
l’administration. Le processus de délégation est si avancé que les contrats et cahiers des<br />
charges sont largement inspirés des exigences des <strong>concessionnaire</strong>s, que leur suivi<br />
administratif est des plus ténu, que les manquements et les violations ne sont pas même<br />
relevés. Le système de concession fonctionne ici comme un idéal-type de la décharge : en<br />
contrepartie d’avances financières au Trésor (les redevances d’avance principalement 111 ,<br />
puisque les droits sur les coupes et les taxes à l’exportation ne sont payés que rarement et par<br />
intermittence) et du financement personnel du Prince, une grande liberté est octroyée au<br />
<strong>concessionnaire</strong> et à ses sous-traitants, y compris celle de violer les lois, de transformer une<br />
ressource en rente, d’inventer de nouvelles taxations (par exemple sur les populations locales<br />
vivant sur « sa » zone), d’exercer la police et parfois la violence. En raison de l’extrême<br />
opacité du secteur forestier, il n’a pas été possible de connaître le contenu exact des contrats ;<br />
mais le cas des concessions économiques, plus accessible, permet de saisir l’étendue de ce<br />
processus de délégation. Selon une étude récente des Nations Unies reposant sur l’analyse de<br />
15 contrats (sur un total de 40 concessions économiques enregistrées) 112 , il apparaît très<br />
109 Sur la problématique de la privatisation de l’Etat, voir B.Hibou, « Retrait ou redéploiement de l’Etat ? »<br />
(pp.151-168), Critique internationale, n°1, octobre 1998, le dossier de « L’Etat en voie de privatisation »,<br />
Politique africaine, n°73, mars 1999 (pp.6-121) et notamment « La ‘décharge’, nouvel interventionnisme? »<br />
(pp.6-15) ainsi que B.Hibou (dir.), La privatisation des Etats, Paris, Karthala, 1999.<br />
110 Rapport Global Witness, Corruption, War & Forest Policy… op.cit., p.<br />
111 Chaque <strong>concessionnaire</strong> devait payer une redevance d’avance de 50.000 $.<br />
112 United Nations, Land Concessions for Economic Purposes in Cambodia, op.cit.