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Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)

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Conclusions intermédiaires<br />

La confrontation <strong>des</strong> textes juridiques et <strong>des</strong> pratiques montre l’existence d’un certain décalage qui conduit à poser la<br />

question de l’effectivité de la règle de droit et de son application. Une application dévoyée du droit, qui se traduit par un<br />

contournement ou une distorsion de la règle, conduit nécessairement à s’interroger sur la pertinence du maintien en<br />

l’état <strong>des</strong> règles. Se pose alors la question du passage d’une effectivité relative, acceptable voire souhaitable dans une<br />

société démocratique, à une ineffectivité qui imposerait une transformation de la norme juridique. <strong>Le</strong> problème qui<br />

risque en effet de se poser est celui de l’effet pervers de la règle : c’est le cas s’agissant de l’utilisation de l’inaptitude ou<br />

encore de la transaction qui "facilitent" la sortie <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong> de l’emploi, allant à l’encontre <strong>des</strong> principes<br />

juridiques qui sous-tendent la mise en place d’instances représentatives du personnel mais provoquant aussi <strong>des</strong> effets<br />

dévastateurs sur les autres <strong>salariés</strong> demeurés dans l’entreprise ou licenciés moyennant le versement <strong>des</strong> indemnités<br />

légales.<br />

D’autre part, ce décalage ne peut que nous amener à nous interroger sur le sens de ces évolutions : mal-être au travail<br />

mais aussi engagements dans <strong>des</strong> mandats représentatifs qui s’inscrivent aussi dans <strong>des</strong> parcours personnels. C’est peutêtre<br />

cet équilibre qui est parfois remis en cause : la transaction évite au salarié de démissionner et lui permet de se<br />

retirer d’une situation de travail devenue parfois insupportable tout en pouvant espérer toucher les indemnités de<br />

chômage. La dimension symbolique du droit s’efface devant une acception instrumentale. On ne peut dès lors<br />

qu’approuver le récent revirement de jurisprudence de la Cour de cassation qui ouvre au salarié dit « protégé » la<br />

possibilité de demander au juge la résiliation de son contrat de travail. Prononcée aux torts de l’employeur, elle produira<br />

les effets d’un <strong>licenciement</strong> sans cause réelle et sérieuse : l’initiative de la rupture incombe au salarié mais elle est<br />

imputable à l’employeur qui devra en supporter les conséquences financières.<br />

Mais c’est parce que le salarié dit « protégé » se trouve dans <strong>des</strong> liens contractuels que la Cour de cassation lui ouvre,<br />

depuis un récent arrêt très commenté et « estampillé » du sceau <strong>des</strong> arrêts particulièrement importants 1 ,<br />

Peut-être aussi faut-il voir dans ces évolutions l’extension d’un modèle de marchandisation <strong>des</strong> relations de travail.<br />

C’est ce qu’explique un responsable <strong>des</strong> relations sociales au sein d’un grand groupe.<br />

"Mais ce plan social a fait une brèche dans l’esprit de [l’entreprise], parce qu’après, ça a introduit une<br />

culture où l’on pouvait négocier son départ […]. Sur le dernier plan social, on a fait un départ sur 4, c'està-dire<br />

que 25% de la population est partie, ce qui est énorme, et nous on pensait vraiment qu’on n’aurait<br />

pas assez de volontaires." (DRH, grande entreprise)<br />

Toutefois, on peut aussi regarder les usages décalés du droit d'une autre façon. Il faut comprendre que l'usage strict <strong>des</strong><br />

seules règles juridiques peut conduire à <strong>des</strong> situations invivables pour l'une ou les deux parties. <strong>Le</strong> compromis<br />

officialisé par l'accord, même s'il déroge aux règles peut être considéré comme "une <strong>des</strong> gran<strong>des</strong> inventions de<br />

l'humanité" pour reprendre Simmel (2003), car il permet <strong>des</strong> règlements qui n'exigent pas la <strong>des</strong>truction de l'adversaire.<br />

L'inaptitude ou la transaction ne sont pas toujours ni recherchées ni acceptées avec emphase par les <strong>salariés</strong>. Elles sont<br />

aussi un pis-aller, qui permet de mettre à distance, au moins pour un temps, <strong>des</strong> situations que l'on a le plus grand mal à<br />

supporter.<br />

<strong>Le</strong>s effets d'un conflit de longue durée sont loin d'être anodins pour les individus, surtout qu'ils se vivent souvent sur la<br />

base d'une inégalité de ressources dont les effets sont dévastateurs sur leur personnalité.<br />

C'est en grande partie pour ces raisons que <strong>des</strong> inspecteurs du travail peuvent autoriser les <strong>licenciement</strong>s "convenus" car<br />

ils font preuve d'empathie par rapport au sort <strong>des</strong> <strong>salariés</strong>. En effet, la principale raison pour laquelle les <strong>salariés</strong><br />

acceptent <strong>des</strong> transactions ou demandent leur <strong>licenciement</strong> pour inaptitude, c'est parce que le <strong>licenciement</strong> permet de<br />

sortir d'une situation de crise, parfois totalement insoutenable pour le salarié, tout en gardant le bénéfice <strong>des</strong> allocations<br />

chômage. Il est probable que si la démission d'un salarié protégé lui offrait les mêmes garanties, le nombre de<br />

<strong>licenciement</strong>s subirait une baisse au profit <strong>des</strong> démissions qui, elles ne dépendent pas de la décision de l'inspecteur du<br />

travail.<br />

1 La Cour de cassation « classe » ses décisions suivant une certaine nomenclature : P (publié au Bulletin <strong>des</strong> arrêts de la Cour de<br />

cassation (édition mensuelle), B (publié, en résumé, au Bulletin d’information de la Cour (bimensuel), R (rapport annuel), I (site<br />

internet), NP (non publié).<br />

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