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Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)

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Par contre, dans <strong>des</strong> organisations plus petites, familiales, paternalistes, la posture oppositionnelle <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong><br />

est mal vécue par les dirigeants qui y voient une remise en cause personnelle. <strong>Le</strong> salarié protégé devient vite un gêneur<br />

dont il faut se débarrasser.<br />

Toutefois, ces conceptions du mandat ne sont pas présentes chez tous les <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong>. Il apparaît intéressant, au<br />

plan de l'analyse juridique, de s'interroger sur ce que l'on peut qualifier de phénomène de banalisation du statut juridique<br />

et social du salarié protégé. De telles évolutions traduisent en même temps qu'elles l'induisent un recentrage sur la<br />

personne, recentrage accentué par la place de plus en plus importante occupée aujourd'hui par les droits fondamentaux<br />

de la personne 1 , droits opposables à l’employeur en vertu de l’article L. 120-2 2 . On peut ainsi émettre l'hypothèse d'une<br />

tendance à la subjectivation du mandat, qui apparaît de plus en plus lié à la personne qui l'occupe plutôt qu'à la fonction<br />

de représentation détenue.<br />

Ce glissement est encore plus perceptible au niveau sociologique. <strong>Le</strong> fait qu'un nombre important de <strong>salariés</strong> détiennent<br />

<strong>des</strong> mandats en dehors de toute référence à une organisation syndicale, quand ce ne sont pas <strong>des</strong> candidatures contre les<br />

listes présentées par les organisations syndicales, modifie la référence au collectif. Ces <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong> se sentent alors<br />

porteurs d'une conception de l'intérêt collectif contingente (un groupe professionnel plus que les <strong>salariés</strong> dans leur<br />

ensemble) et floue (la référence aux gens) qui orientent différemment leur action. Ils conçoivent plus que les autres leur<br />

rôle comme une aide pour les <strong>salariés</strong>, comme une capacité à représenter les intérêts conjoints de l'entreprise et <strong>des</strong><br />

<strong>salariés</strong>. <strong>Le</strong> mandat peut aussi s'inscrire dans une recherche de valorisation personnelle où l'intérêt <strong>des</strong> tâches inhérentes<br />

au mandat peut passer avant la valorisation de la représentation <strong>des</strong> <strong>salariés</strong>.<br />

Ce mode d'occupation du mandat est alors révélateur du brouillage <strong>des</strong> repères professionnels antérieurs et d'une<br />

tertiairisation <strong>des</strong> fonctions qui s'accompagne d'une forte hétérogénéité. Il faut d’ajouter à ce constat la multiplication<br />

<strong>des</strong> statuts d'emploi et la disjonction de plus en plus importante entre le niveau de formation initiale atteint et les postes<br />

occupés. Tout cela <strong>des</strong>sine un nouveau contexte social dans lequel le rapport au travail et aux employeurs devient de<br />

plus en plus complexe, multipliant à l'infini les formes que peut prendre une carrière professionnelle et rendant<br />

l'individu moteur de cette évolution. Or, la démocratisation de l'enseignement fournit les ressources cognitives<br />

nécessaires à la maîtrise de ces nouvelles situations. De ce fait, on assiste à plus grande importance accordée à l'individu<br />

qui devient, plus que le collectif, une référence centrale, une norme de comportement. Mais cela s'accompagne, en<br />

l'absence de références collectives, d'une exposition plus importante <strong>des</strong> individus, qui deviennent de ce fait beaucoup<br />

plus fragiles.<br />

Ce sont donc les populations les plus jeunes, les plus diplômés qui apparaissent les mieux armées pour concevoir ainsi<br />

les orientations de leur mandat. À la recherche d'une valorisation sociale qui a du mal à se concrétiser dans une<br />

évolution hiérarchique bloquée, ces <strong>salariés</strong> tentent, dans un premier temps, de reconstruire un intérêt au travail<br />

différent, ce qui passe souvent par une extension <strong>des</strong> relations professionnelles vers les champs les plus intimes de<br />

l'individu, ou dit autrement, par une importation du monde domestique dans la sphère du travail qui rend poreuse et<br />

changeante la frontière du travail et du non-travail.<br />

<strong>Le</strong> droit, bien que protecteur du salarié protégé, apparaît, dans un tel contexte, comme un ensemble de règles exogènes,<br />

une imposition de contraintes mal adaptées aux configurations locales et un frein à l'investissement personnel. <strong>Le</strong><br />

juridique ne devient une ressource que dans les cas de dégradation de la relation entre <strong>salariés</strong> et employeurs.<br />

Dans une organisation très formalisée, l'investissement individuel n'est pas rejeté. Toutefois, les règles de mobilité,<br />

d'avancement ou d'augmentation de salaire se réfèrent à <strong>des</strong> indicateurs objectifs. <strong>Le</strong> retour sur l'investissement que les<br />

individus consacrent à leur activité professionnelle ne va pas de soi, car il a du mal à se traduire dans <strong>des</strong> catégories<br />

"objectives" (ancienneté et diplômes) les plus facilement intégrées dans une gestion formalisée du personnel.<br />

Dans les entreprises plus petites où le personnel est géré beaucoup plus par <strong>des</strong> interrelations chef – salarié, cette<br />

relation, parce qu'elle est souvent affective et parfois fusionnelle, se révèle extrêmement fragile. L'extension du domaine<br />

professionnel associée à la confusion <strong>des</strong> registres personnels et affectifs expose très fortement l'individu (mais aussi ses<br />

supérieurs dont la personnalité, les goûts deviennent aussi importants que la fonction). Comme dans les vraies familles,<br />

le moindre point de discorde peut constituer le fondement d'un processus d'éloignement très mal vécu de part et d'autre.<br />

Ce contexte offre ainsi le cadre idoine permettant le passage d'une relation supérieurs – subordonnés, assise sur une<br />

idéologisation de la fonction et sur un rapport de forces construit sur <strong>des</strong> logiques antagonistes, à une relation singulière<br />

1<br />

Ray (J.-E.), "Courrier privé et courrier personnel", Dr. Soc. 2001, p. 915 ; Favennec-Hery (F), "Vie privée dans l’entreprise et à<br />

domicile", RJS 12/01, p. 940.<br />

2<br />

. Inséré par la loi du 31 décembre 1992 : « Nul ne peut apporter aux droits <strong>des</strong> personnes et aux libertés individuelles et collectives<br />

de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».<br />

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