Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)
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composante relationnelle apparaît fondamentale dans l'équilibre de la configuration. De ce fait, le changement<br />
d'interlocuteur constitue souvent le principal élément déclencheur.<br />
"(<strong>Le</strong> directeur) est arrivé en août 1999, c’est quelqu’un qui est jeune qui a 29 ans, donc il y a 3 ans, il<br />
avait 26 ans, il avait les crocs et les griffes qui lui poussaient, donc il était salaud et […] on a senti que ça<br />
ne pouvait pas durer, et les gens venaient nous voir en disant : "il m’a fait ci, il m’a fait ça". (Salarié<br />
protégé, délégué syndical, membre CHSCT, syndiqué, ouvrier, 44 ans, CAP, demande de <strong>licenciement</strong><br />
pour faute)<br />
<strong>Le</strong> nouvel interlocuteur hiérarchique, souvent pour "imposer sa marque", s'astreint à se distinguer de ce qu'ont fait ses<br />
prédécesseurs et tire alors le mode de management vers la personnalisation. C’est une <strong>des</strong> raisons principales de<br />
modification de la configuration relationnelle antérieure, non seulement parce qu'elle modifie un <strong>des</strong> pôles de la<br />
configuration mais, surtout, parce qu'elle remet de ce fait aussi en cause l'équilibre antérieur.<br />
"Au départ, je trouvais que (le nouveau directeur) était quelqu’un de sympa, et puis il s’exprimait bien.<br />
[…] 2 e mise à pied, c’était sous (ce directeur), en 2001, une mise à pied de 3 jours, parce que je harcelais<br />
mes collègues de travail. (Salarié protégé, délégué syndical, membre CHSCT, syndiqué, ouvrier, 44 ans,<br />
CAP, demande de <strong>licenciement</strong> pour faute)<br />
Mais même en l'absence de changement d'interlocuteurs, la répétition d'une situation perçue comme injuste (comme le<br />
marque l'utilisation du terme "imbécile", ci-<strong>des</strong>sous) peut servir de déclencheur.<br />
"On commençait à en avoir un peu ras-le-bol et à ne pas être entendus, à être pris pour <strong>des</strong> imbéciles à<br />
chaque fois qu’on disait quelque chose, on nous disait qu’on avait tort. Et surtout, on n’avait aucune<br />
information, ni sur la société, ni sur les résultats de notre magasin, ni sur rien. […] On n’a pas 50 moyens<br />
de faire bouger les choses, on s’est dit la seule manière, en plus ça tombait bien à ce moment-là parce<br />
qu’il y allait avoir <strong>des</strong> élections du personnel, on s’est dit, on va essayer de se faire élire.» (Salarié<br />
protégé, membre du comité d’entreprise, délégué du personnel, syndiqué, 37 ans, cadre, Bac+2, PME,<br />
demande de <strong>licenciement</strong> pour faute)<br />
En fait cette forme d'injustice est un peu particulière : elle n'est pas fondée sur le sentiment qu'a le salarié d'être<br />
maltraité. Il s'agit d'un sentiment d'injustice qui vise les individus pris un à un, et dont le salarié protégé fait partie.<br />
Pour résumer, on peut dire que plus le lien <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong> à l'entreprise est désincarné, objectivé, plus les<br />
changements doivent être importants pour que le conflit se développe. <strong>Le</strong> lien entre proximité et radicalité du conflit<br />
mis en évidence par Simmel, commence ici à être perceptible. Dans un tel contexte, la représentation collective permet<br />
d'équilibrer un minimum le rapport de forces. Mais pour <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> qui s'inscrivaient jusque-là dans <strong>des</strong> stratégies<br />
individuelles, la constitution d'un collectif exige de rencontrer <strong>des</strong> collègues qui ont à peu près les mêmes problèmes.<br />
"Je ne crois pas à ces groupements qui défendraient les <strong>salariés</strong>. Il y a trop de magouilles dans tout ça<br />
pour que ce soit réel, je ne crois pas. […] Je ne crois pas au collectif, aux gens qui représentent tout ça.<br />
Mais moi, à titre individuel, ou (mon collègue) ou d’autres personnes, à titre individuel, peuvent défendre<br />
dans une société d’autres personnes." (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME,<br />
demande de <strong>licenciement</strong> pour faute)<br />
"Donc les problèmes ont commencé. Là-<strong>des</strong>sus, j’ai rencontré une ancienne personne <strong>des</strong> chaussures X<br />
qui avait été embauchée là-bas par hasard, et il avait les mêmes problèmes. Donc on a commencé à se<br />
battre." (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de <strong>licenciement</strong> pour faute)<br />
Pour s'appuyer sur un collectif qui dépasse les relations de complicité, il faut passer de l'injustice individuelle à une<br />
injustice de nature différente (de profession ou de classe) et donc intégrer ses rancœurs et ses désirs dans un combat<br />
plus large. S'apercevoir que le combat personnel ou de quelques-uns ne débouche sur rien peut s'avérer un bon<br />
déclencheur pour s'interroger sur l'intérêt de l'adhésion à un syndicat même si celui-ci semble éloigné de ses valeurs.<br />
"À la base, (notre PDG est) un marchand de tapis. Par ruse, il arrivait toujours à nous manipuler, en nous<br />
promettant ceci ou cela. On arrivait à une discussion, <strong>des</strong> joutes oratoires, un peu marrantes quelquefois.<br />
Mais au bout de 6 mois, on était lassé parce que rien ne venait, il nous promettait, […] J’ai toujours<br />
espéré, parce qu’il était très rusé, il promettait. Je suis quelqu’un de patient à la base, je me disais qu’on<br />
allait discuter, dialoguer. […] À la base, on était un peu naïf, on ne connaissait pas du tout le monde<br />
syndical. […] On n’y allait pas pour se battre ou pour créer un conflit, on y allait parce qu’on était<br />
persuadé que K. est une bonne société, mais qu’il y avait un danger quelque part, que c’était un échange,<br />
c'est-à-dire qu’on pouvait la faire évoluer. […] On n’y allait pas pour le conflit, c’est d’ailleurs pour ça<br />
qu’on a choisi la CGC. On n’est allé ni à FO ni à la CGT, là aussi on était un peu naïf, on pensait que la<br />
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