Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)
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" La seule chose où il n’a pas fait d’effort, c’est de se former en tant que président de CE, et ça, ça a été sa<br />
faille, parce qu’à chaque fois, même sur <strong>des</strong> points de détail, je pouvais moi. Avec mes heures de<br />
délégation CE, DP, délégué syndical j’étais informé. […] Ce qui l’a vraiment excédé, c’est de se rendre<br />
compte qu’il était dépassé.» (Salarié protégé, délégué syndical, cadre, 42 ans, Bac, PME, demande de<br />
<strong>licenciement</strong> pour faute)<br />
Cette arme est cependant à double tranchant : en entraînant le conflit sur le versant purement juridique et en multipliant<br />
les affrontements, les <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong> prennent le risque de se perdre dans une croisade judiciaire qu'ils mènent seuls,<br />
séparés <strong>des</strong> autres <strong>salariés</strong> de l'entreprise.<br />
"Je pense qu’ils nous soutenaient en principe, mais dès qu’il fallait être sur le terrain, ils n’étaient plus là.<br />
C’est difficile parce que comme l’ensemble <strong>des</strong> magasins sont éloignés les uns <strong>des</strong> autres. Mais il est sûr<br />
qu’à un moment les gens se sont lassés, parce que comme on a fait une bagarre qui était un peu trop<br />
juridique et qu’on n’était pas assez proche d’eux, je pense qu’ils nous ont un peu lâchés. Alors que ce<br />
n’était pas ça, nous à la base, on voulait que la société fonctionne normalement au niveau du CE. Mais on<br />
devait passer par le juridique, on a dû se battre sur tout pour avoir l’argent.» (Salarié protégé, membre du<br />
comité d’entreprise, délégué du personnel, syndiqué, 37 ans, cadre, Bac+2, PME, demande de<br />
<strong>licenciement</strong> pour faute)<br />
On arrive ainsi à <strong>des</strong> victoires paradoxales : à chaque coup gagné sur l'adversaire, on donne l'impression d'un conflit de<br />
plus en plus étranger aux intérêts <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> et l'on finit par perdre leur soutien.<br />
E) <strong>Le</strong> droit une ressource au service <strong>des</strong> personnes en cas de conflit<br />
<strong>Le</strong> droit possède, dans cette configuration, un statut particulier. En situation normale, c'est-à-dire quand le salarié se<br />
consacre à son activité et que l'entreprise semble lui en être reconnaissante, le droit ne peut être mobilisé. En effet, son<br />
usage est contraire au principe de confiance qui préside aux relations. D'autre part, l'application de règles juridiques<br />
aurait pour effet de restreindre l'investissement <strong>des</strong> <strong>salariés</strong>, alors que c'est ce qui rend intéressant leur activité.<br />
En effet, l'utilisation du droit est souvent une manière de marquer les frontières de son pouvoir.<br />
"Je connaissais bien mes droits par rapport à la formation." (Salarié protégé, membre du comité<br />
d’entreprise et du CHSCT, syndiqué, agent de maîtrise, 28 ans, BTS, PME, demande de <strong>licenciement</strong><br />
pour inaptitude)<br />
Dans ce modèle, l'investissement ne peut se cantonner aux obligations contractuelles, ne serait ce que parce que le fait<br />
de dépasser ce seuil est, en lui-même, un paiement. En effet, les profits de l'investissement sont inclus dans le fait même<br />
de s'investir (lire nos développements antérieurs sur la recherche d'une valorisation personnelle).<br />
La référence à <strong>des</strong> règles ou à <strong>des</strong> procédures juridiques ne survient donc que quand la relation salarié – entreprise<br />
devient instable.<br />
<strong>Le</strong> mandat de conseiller prud’homal constitue un cas particulier. Il semble bénéficier d’une certaine "aura" qui fait aussi<br />
parfois s’éloigner les conseillers d’un mandat qui demeure syndical 1 . <strong>Le</strong>s conseillers prud'homaux sont <strong>des</strong> juges ; à ce<br />
titre, ils "disent le droit" et leurs décisions s’imposent aux parties au procès. <strong>Le</strong> mandat qu’ils occupent leur impose de<br />
maîtriser le droit. Certains y parviennent de manière magistrale. <strong>Le</strong> mandat constitue alors aussi une promotion sociale<br />
pour <strong>des</strong> personnes qui ont bien souvent arrêté très tôt leurs étu<strong>des</strong>.<br />
Ce mandat apparaît aussi plus consensuel, raison pour laquelle on l'a rattaché à la personnalisation du mandat : il<br />
s’exerce en dehors de l’entreprise et <strong>des</strong> enjeux sociaux immédiats, ainsi que l’explique un Conseiller prud’homme.<br />
"(Est-ce que le fait que vous soyez conseiller prud'homal a eu <strong>des</strong> effets sur votre travail ?) Non, au<br />
contraire, de la part de mon directeur, c'était plutôt une référence en fait. [L’employeur] s'est servi de moi<br />
en se disant M. F. est conseillé prud'homal donc il représente les lois, il représente la justice. Donc au sein<br />
de l'entreprise, il ressentait ça comme un bien-être. Il disait à partir du moment où on a un représentant de<br />
la loi dans l'entreprise, on est bien, ça veut dire que nous, la loi, on la respecte. C'est vrai qu'à la limite, il<br />
la respectait." (Salarié, juge prud'homal, délégué syndical, ouvrier, 58 ans, CEP, TPE, demande de<br />
<strong>licenciement</strong> pour inaptitude)<br />
1 Ces observations sont le fruit de sept ans de formation de conseillers prud’homaux au sein de l’ISST.<br />
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