Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)
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<strong>Le</strong>s relations oppositionnelles peuvent ainsi être vivables dans une grande organisation industrielle ou bureaucratique,<br />
dans toutes les entreprises dans lesquelles les rapports sont institutionnalisés, ritualisés. <strong>Le</strong>s "empêcheurs de tourner en<br />
rond", que peuvent être certains représentants <strong>des</strong> <strong>salariés</strong>, sont en fait "neutralisés" par les effets de taille et de<br />
structure.<br />
L'affrontement est alors structurel : il se déroule en continu, chacun définissant ses droits et devoirs. La question <strong>des</strong><br />
frontières de ce qui est exigible de la part de l'entreprise est au centre de l'affrontement. La <strong>des</strong>cription que fait<br />
d'Iribarne (1989) <strong>des</strong> relations professionnelles en France et qu'il caractérise comme la logique de l'honneur renvoie à ce<br />
type d'affrontements. C'est le même type de relations qui structure les affrontements décrits ci-<strong>des</strong>sous.<br />
"Non, parce qu’on a toujours été en guerre tous les 2. C’est ce qui est le plus étonnant, je n’ai jamais<br />
lâché, lui non plus. Il m’a fait <strong>des</strong> menaces plusieurs fois, j’ai eu l’inspection du travail plusieurs fois et je<br />
n’ai jamais lâché, ce n’est pas parce que je suis mieux que les autres. Mais je ne me suis jamais mise en<br />
porte-à-faux, je n’ai jamais fait ce qu’il ne fallait pas." (Secrétaire du comité d’entreprise, déléguée<br />
syndical, 58 ans, PME)<br />
Cette conception <strong>des</strong> relations sociales est ancienne et relativement conforme aux conceptions de la gestion de la maind’œuvre<br />
présentes dans les gran<strong>des</strong> entreprises. <strong>Le</strong>s représentants du personnel y sont <strong>des</strong> intermédiaires<br />
incontournables avec lesquels il faut composer. La gestion du social fait alors partie du quotidien. L’obligation légale<br />
est intériorisée et acceptée. <strong>Le</strong>s instances représentatives du personnel remplissent pleinement leur rôle, ainsi qu’en<br />
témoigne la responsable <strong>des</strong> relations sociales d’un grand groupe :<br />
"Je suis de l’école où les délégués sont là pour représenter les <strong>salariés</strong> parce qu’ils croient à une certaine<br />
idéologie, quand je vois les délégués se servir les premiers, ça me rend malade. Ça m’a vraiment fait<br />
piquer <strong>des</strong> colères, parce que ce n’est pas pour ça qu’on est délégué, ou alors on fait autre chose.[…] <strong>Le</strong><br />
rêve d’un DRH, c’est d’avoir <strong>des</strong> délégués qui sont costauds, qui remplissent bien leur rôle. Un délégué<br />
comme M…, qui n’était pas facile, mais avec qui au moins, on sait où on le trouve, une fois qu’on l’a<br />
trouvé, on discute. Mais on ne discute pas pour lui, on discute pour ce qu’il représente.» (DRH, grande<br />
entreprise)<br />
"Toute l’équipe qui est partie, notamment l’équipe de la CFDT mais aussi de la CGT, c’est une équipe de<br />
personnes militantes, donc on savait très bien où on allait les trouver et c’était parfois <strong>des</strong> empêcheurs,<br />
mais ils jouaient bien leur rôle. J’ai toujours eu beaucoup de respect pour ces gens-là, même dans le<br />
conflit.» (DRH, grande entreprise)<br />
On peut alors résumer cette configuration et ses effets dans un tableau que nous allons graduellement remplir.<br />
<strong>Mo</strong>de de management<br />
<strong>Mo</strong>de d'occupation du mandat<br />
Différenciation <strong>des</strong> positions,<br />
opposition<br />
Intégration<br />
Industrialisation,<br />
Formalisation <strong>des</strong> procédures<br />
Stabilité <strong>des</strong> relations<br />
47<br />
Personnalisation du management<br />
L'occupation du mandat sur un mode oppositionnel repose, de manière assez surprenante, sur <strong>des</strong> relations pacifiées, à<br />
défaut de relations harmonieuses : il y a un relatif accord sur les positions respectives et l'apport <strong>des</strong> représentants <strong>des</strong><br />
<strong>salariés</strong> à l'organisation. Elle est de ce fait, en théorie, dotée d'une grande stabilité. Toutefois cette stabilité n'est assurée<br />
que si rien ne change.<br />
Si la santé économique de l'entreprise se dégrade brutalement, les divergences se durcissent et finissent par se<br />
transformer en conflit. L'antagonisme antérieur devient plus marqué : les oppositions salariales, qui font partie de<br />
l'antagonisme "normal", sont remplacées par <strong>des</strong> oppositions qui renvoient aux conditions d'existence même <strong>des</strong><br />
protagonistes (survie de l'entreprise versus préservation de l'emploi <strong>des</strong> <strong>salariés</strong>). Toutefois, cet antagonisme peut être<br />
tempéré si tous s'accordent sur le statut <strong>des</strong> contraintes qui président au changement. Tant qu'elles sont considérées<br />
comme <strong>des</strong> contraintes exogènes, les relations restent dans le registre de l'opposition traditionnelle. Puisque ces<br />
contraintes rendent le <strong>licenciement</strong> quasi-inéluctable et imposent de traiter les <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong> comme les autres, cela a<br />
pour effet d'aboutir aux <strong>licenciement</strong>s "consensuels", c'est-à-dire acceptés par l'ensemble <strong>des</strong> parties.<br />
Si par contre, l'une <strong>des</strong> parties soupçonne l'autre d'utiliser le changement, le <strong>licenciement</strong> ou la fermeture de<br />
l'établissement ou de l'entreprise pour <strong>des</strong> stratégies à long terme, le conflit gagne en dureté. Dans un tel contexte, la