Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)
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<strong>Le</strong>s approches analytiques récentes renvoient aussi à une difficulté plus subtile. <strong>Le</strong> constat de la place centrale de<br />
l'individu va de pair avec la difficulté qu'a celui-ci à exister : l'unification de l'acteur en présence d'un monde de plus en<br />
plus complexe et diversifié est problématique. L'individu devient alors, plus que le collectif, une référence centrale, une<br />
norme de comportement, mais cela se traduit aussi par une exposition beaucoup plus importante <strong>des</strong> individus qui<br />
deviennent beaucoup plus fragiles dans une "société de verre", selon l'expression de Philippe Corcuff (2002).<br />
Il convient, toutefois, de différencier les populations concernées : cette individualisation et cette exposition concernent<br />
avant tout les populations les plus qualifiées et les plus diplômées.<br />
Cela concorde avec un certain nombre d'évolutions <strong>des</strong> causes de <strong>licenciement</strong> relevées par les étu<strong>des</strong> menées au sein<br />
du Ministère du travail. C'est en effet parmi les cadres et les agents de maîtrise que le <strong>licenciement</strong> pour motif personnel<br />
est le plus fréquent 1 . <strong>Le</strong> lien entre ces deux types de phénomènes est clairement fait par Pignoni et Zouary : les cadres,<br />
échappant plus souvent que les <strong>salariés</strong> moins qualifiés à la logique syndicale en matière de relations professionnelles,<br />
adoptent <strong>des</strong> stratégies plus individualistes, y compris dans les secteurs comme la banque où le taux de syndicalisation<br />
reste globalement élevé. Nombre de ces <strong>licenciement</strong>s pour motif personnel peuvent ainsi traduire une stratégie de<br />
négociation préalable au départ de l'entreprise. Par ailleurs, le management par objectifs et l'individualisation de la<br />
main-d’oeuvre sont <strong>des</strong> pratiques qui touchent prioritairement les catégories et les secteurs correspondant à ces familles<br />
professionnelles 2 .<br />
Déterminants individuels<br />
<strong>Le</strong>s caractéristiques <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> eux-mêmes sont aussi déterminantes pour comprendre ce type de positionnement.<br />
Ce sont, en premier lieu, les <strong>salariés</strong> les plus jeunes qui placent dans le monde du travail en général et dans l’entreprise<br />
en particulier un certain nombre d’attentes très différentes de celles que pouvaient formuler leurs prédécesseurs. Ce<br />
constat s'explique en partie, par leur niveau de diplôme, très nettement supérieur 3 et, d’autre part, parce qu'ils se<br />
trouvent souvent à <strong>des</strong> postes d’un niveau inférieur à celui auquel ils auraient pu prétendre.<br />
De ce fait, mais aussi en l'absence de possibilités réelles de reclassement dans une autre organisation, par crainte du<br />
chômage ou parce que les avantages de l'organisation (sécurité d'emploi, horaires…) demeurent importants, certains de<br />
ces jeunes surdiplômés, se placent volontairement en situation de retrait par rapport à l'organisation, dans ce que l'on<br />
peut qualifier, pour reprendre les termes d'Hirschman (1972), d'"exit" . Ils n'ont alors que peu de raisons de postuler à<br />
<strong>des</strong> mandats représentatifs.<br />
D'autres <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong> réagissent de manière plus offensive 4 . Ils sont demandeurs de situations de travail plus<br />
intéressantes et donc complexes et tentent de négocier directement avec l'encadrement <strong>des</strong> fonctions spécifiques et/ou<br />
d'élargir les limites <strong>des</strong> fonctions qu'ils occupent déjà (Correia, 2003). Dans cet accord, les jeunes se voient offrir <strong>des</strong><br />
fonctions beaucoup plus intéressantes, car bénéficiant d'une grande autonomie dans l'organisation du travail et d'une<br />
importante responsabilité dans les décisions éventuelles à prendre. On est alors loin de la caricature <strong>des</strong> <strong>salariés</strong> prêts à<br />
tout pour parvenir au sommet de la hiérarchie, auxquelles on rattache les termes de carrière, l'engagement dans<br />
l'entreprise ne pouvant pas être ici confondu avec le carriérisme.<br />
"Je pense que d’abord, X n’était pas un ambitieux, il ne voulait pas faire carrière, ce qui le préoccupait,<br />
c’était de faire quelque chose qui l’intéressait. C’était un fêlé d’informatique, […] quand il a mis en place<br />
l’informatique de la qualité de tout le groupe, ça, ça commençait vraiment à l’intéresser." (Directeur<br />
d'établissement, PME)<br />
"Il avait mis lui en informatique toutes les procédures de qualité, ça l’avait beaucoup excité cette histoire,<br />
ça lui plaisait." (Directeur d'établissement, PME)<br />
Ceci n'empêche pas bien au contraire que leur sort dans l'entreprise apparaisse enviable.<br />
1<br />
Pignoni M-T., Zouary P. (2003) "<strong>Le</strong>s nouveaux usages du <strong>licenciement</strong> pour motif personnel", Premières informations, juillet 2003<br />
n°28.2.<br />
2<br />
Ibid<br />
3<br />
<strong>Le</strong>s sorties nettes de l'enseignement supérieur au niveau I+II de formation (licence et plus) qui représentaient en 1980, 9,5% <strong>des</strong><br />
sortants du système éducatif, en représentent 19,4% en 1992. (J. Vincens, F. Pottier, <strong>Le</strong> devenir <strong>des</strong> diplômés <strong>des</strong> Universités,<br />
Rapport au Comité National d'Evaluation <strong>des</strong> établissements publics à caractère scientifique culturel et professionnel, Janvier 1995).<br />
4<br />
Une partie <strong>des</strong> analyses présentées ici a été d'abord étayée à partir d'une enquête sur les "surdiplômés" agents du Ministère de<br />
l'équipement et qui permettent de généraliser et de condenser les résultats auxquels on parvient ici sur un nombre moins élevé<br />
d'entretiens. (Correia M. (dir.), <strong>Le</strong>roux N., <strong>Le</strong>nel P., "Entre désinvestissement, promotion et mobilité diagonale : le cas <strong>des</strong><br />
"surdiplômés" du Ministère de l’équipement, du logement, <strong>des</strong> transports et du tourisme", doc. interne, Ministère de l’équipement, du<br />
logement, <strong>des</strong> transports et du tourisme, 158 pages.<br />
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