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Le licenciement des salariés protégés (DE février 2006) (pdf - 1.1 Mo)

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Avant de voir les effets que peuvent avoir ces interprétations différentielles, il faut insister sur le fait que chaque conflit<br />

(c'est-à-dire les cas où le <strong>licenciement</strong> n'a pas fait l'objet d'un accord) a un coût et que dans la plupart <strong>des</strong> cas, il est<br />

inégalement réparti. Alors que l'entreprise peut répartir la préparation du dossier sur ses services ou sur <strong>des</strong> spécialistes<br />

extérieurs qu'elle rémunère, le salarié est, la plupart du temps, seul à supporter les démarches. D'autre part, les coûts<br />

narcissiques ou identitaires sont, pour les <strong>salariés</strong> en conflit, loin d'être négligeables.<br />

<strong>Le</strong> déclenchement du conflit ou le fait que les individus interprètent mal ce qui leur arrive ne relève donc pas tout à fait<br />

d'un choix rationnel. Cela renvoie beaucoup plus à <strong>des</strong> raisons "pulsionnelles" qui semblent échapper, comme nous le<br />

verrons, à leur volonté.<br />

<strong>Le</strong>s conséquences du conflit sont intégralement supportées par le salarié protégé qu'il s'agisse de leur devenir<br />

professionnel ou leur état psychique. Cet état dépend énormément du sens qu'ils donnent à la situation de <strong>licenciement</strong>.<br />

Ceux qui parviennent à maintenir le désaccord dans le registre d'un affrontement de positions ("le patron contre le<br />

salarié") minorent les atteintes portées à leur état mental. Au contraire ceux qui interprètent le <strong>licenciement</strong> comme une<br />

attaque personnelle semblent vivre la situation de manière beaucoup plus fragile et plus problématique.<br />

D) <strong>Le</strong>s ressources sont différentes pour chaque acteur<br />

Chaque conflit (c'est-à-dire les cas où le <strong>licenciement</strong> n'a pas fait l'objet d'un accord, au sens sociologique du terme) a<br />

un coût qui, dans la plupart <strong>des</strong> cas, est inégalement réparti dès lors qu’existe une différence de positions : les moyens<br />

matériels mis en œuvre divergent permettant, par exemple, à l'interlocuteur patronal de donner forme au conflit et de<br />

formaliser ou d’objectiver les arguments. <strong>Le</strong> constat d'huissier par exemple, utilisé pendant une grève, semble être une<br />

pratique constante chez les employeurs qui, à l'inverse, n'est pas mobilisée par les <strong>salariés</strong> qui n'y pensent même pas. Or<br />

la "mise en forme" facilite l'administration de la preuve sans investigation supplémentaire.<br />

<strong>Le</strong> temps constitue aussi une ressource tout à fait importante, et ce d'autant plus que les procédures sont très longues.<br />

L'inspecteur du travail fait quasiment toujours appel, dans les dossiers étudiés, à la faculté de prolonger la durée de la<br />

procédure. S'engager dans une procédure, c'est aussi, de part et d'autre, faire un pari sur la capacité à tenir le conflit dans<br />

le temps. Lorsque le salarié reste dans l'entreprise, c'est sa capacité à demeurer dans le conflit qui est déterminante.<br />

Dans d'autres cas, à certaines étapes de la procédure 1 , le salarié est déjà licencié ; c'est alors sa capacité à s'assurer <strong>des</strong><br />

moyens de subsistance qui est en jeu, même si la plupart bénéficient <strong>des</strong> allocations de chômage. La situation devient<br />

extrêmement problématique lorsque l'autorisation administrative de <strong>licenciement</strong> a été refusée mais que l'entreprise a<br />

été mise en cessation de paiement, que certaines activités ont été rachetées par deux entreprises qui refusent de prendre<br />

en charge le reclassement du salarié protégé ; ce dernier n'est donc pas licencié et son contrat est maintenu (il ne peut,<br />

en théorie, prétendre aux indemnités de chômage) mais il ne réalise pas sa prestation de travail et perçoit une<br />

rémunération pour autant que l'administrateur dispose encore de liquidités. D’autre part, les délais d’une procédure<br />

contentieuse, extrêmement longs, impliquent que les parties disposent de temps. C'est certainement aussi l'une <strong>des</strong><br />

raisons pour lesquelles les contestations sont aussi peu nombreuses. Mais pour ceux qui poursuivent, le risque de perdre<br />

est d'autant plus grand qu'ils se sont vus donner tort.<br />

"L’inspecteur du travail […] accepte (le <strong>licenciement</strong>) on est (déjà) licencié. […] Après le ministère, si on<br />

continue, on va en administratif. Ça ne sert plus à rien, on sait pertinemment que le tribunal administratif<br />

ne va jamais prendre de décisions (contre ce qui a été décidé) avant." (Salarié protégé)<br />

Or les <strong>salariés</strong> <strong>protégés</strong>, particulièrement lorsqu'ils n'appartiennent pas à une organisation syndicale, supportent<br />

quasiment seuls les coûts du conflit. L'organisation syndicale intervient assez peu dans le procès en tant que partie à<br />

l'instance. Elle apporte cependant, pour ses adhérents, un soutien tant au niveau du conseil que de l'apport de<br />

compétences juridiques (financement d'un avocat).<br />

<strong>Le</strong>s premières ressources pour supporter le conflit sont donc d'ordre cognitif. C'est la capacité à analyser les enjeux <strong>des</strong><br />

situations, à prendre du recul par rapport aux problèmes rencontrés. Faire appel à <strong>des</strong> ressources extérieures à<br />

l'entreprise (ressources informationnelles ou ressources juridiques) suppose <strong>des</strong> pré-requis scolaires dont tous les<br />

<strong>salariés</strong> ne disposent pas.<br />

À cet égard, et tout particulièrement quand la situation est complexe, comme en cas de dépôt de bilan, certains <strong>salariés</strong><br />

se retrouvent totalement démunis pour comprendre les enjeux du conflit qui auront <strong>des</strong> effets sur leur propre situation.<br />

"(L'entreprise précédente) a été revendue par obligation, je pense qu’il y a eu un procès, on ne sait pas<br />

trop ce qui c’est passé, donc c’est la famille S. qui a repris tout ça. Cette famille reprend <strong>des</strong> entreprises,<br />

mais elle les massacre. […] Oui, pour les liquider. […] Tout ce qui était syndical et CE était<br />

complètement écarté de la promotion, mon salaire n’a pas évolué depuis 15 ans. […] Il devait y avoir <strong>des</strong><br />

versements d’argent d’un côté, le président du directoire avait 10 sociétés […] En tout cas, c’était une<br />

1 <strong>Le</strong> recours devant le tribunal administratif n'est pas suspensif..<br />

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