Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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La justice a été récemment saisie d’un recours quant à<br />
la possibilité, pour les personnes détenues, d’apparaître<br />
à visage découvert dans un documentaire ou à<br />
la télévision.<br />
Ce « recours pour excès de pouvoir » a été déposé à la fin<br />
du mois de janvier devant le tribunal administratif de Paris<br />
par le producteur et la réalisatrice du documentaire Le<br />
Déménagement, interdit de diffusion sur France 3 sur<br />
décision de l’administration pénitentiaire. Dans ce film,<br />
qui avait pourtant fait l’objet d’une convention préalable<br />
avec l’administration pénitentiaire, et qui présente le<br />
transfèrement des détenus de l’ancienne prison de<br />
Rennes vers le nouve<strong>au</strong> centre pénitentiaire, des prisonniers<br />
ont, en toute connaissance de c<strong>au</strong>se, fait le choix de<br />
s’exprimer à visage découvert.<br />
Si la projection du film a été <strong>au</strong>torisée dans le<br />
cadre de festivals, elle a cependant été interdite à la télévision,<br />
l’administration pénitentiaire invoquant le « droit à<br />
l’oubli » des personnes condamnées, s’appuyant ici sur<br />
l’article 41 de la Loi pénitentiaire de 2009. Cet article stipule<br />
en effet que l’administration pénitentiaire peut s’opposer<br />
à la diffusion « de l’image ou de la voix d’une personne<br />
condamnée » dès lors que « cette restriction s’avère<br />
nécessaire à la s<strong>au</strong>vegarde de l’ordre public, à la prévention<br />
des infractions, à la protection des droits des victimes<br />
ou de ceux des tiers ainsi qu’à la réinsertion des personnes<br />
concernées ».<br />
Pour Maryvonne Blondin, sénatrice du Finistère,<br />
<strong>au</strong>teure d’une question écrite <strong>au</strong> garde des Sce<strong>au</strong>x (dans<br />
laquelle elle lui demande de bien vouloir « préciser<br />
quelles mesures il entend prendre pour que l’administration<br />
pénitentiaire accorde une place plus importante à la<br />
parole des personnes dont elle a la charge »), « l’argument<br />
peut surprendre. [...] De tels témoignages ne semblent<br />
pas nuire à la réinsertion des ex-prisonniers, si on se fie à<br />
l’<strong>au</strong>torisation laissée <strong>au</strong> service public télévisuel de diffuser<br />
fréquemment des reportages et émissions très suivies<br />
sur des affaires judiciaires en cours et sans <strong>au</strong>cun anonymat<br />
».<br />
« On nous oppose cet article, mais sans motiver le refus de<br />
diffusion à visage découvert », proteste maître Etienne<br />
Noël, avocat du producteur Candela Production et de la<br />
réalisatrice Catherine Réchard. « La question est de savoir<br />
si les personnes détenues ont encore leur propre personnalité,<br />
ou si elles doivent être mises sous tutelle ».<br />
Floutage de gueule<br />
13<br />
Par Claire vd Bogaard,<br />
rédactrice en chef<br />
Maryvonne Blondin ajoute : « le droit à la dignité et le droit<br />
d’expression sont des droits fondament<strong>au</strong>x et inaliénables<br />
– garantis notamment par l’article 10 de la convention<br />
européenne de s<strong>au</strong>vegarde des droits de l’Homme –<br />
qui ne sont pas retirés <strong>au</strong>x personnes détenues ».<br />
« Cette censure est clairement politique puisque le documentaire<br />
dresse un implacable réquisitoire contre les<br />
“usines carcérales” et leur inhumanité », estime François<br />
Korber, de l”association de défense des détenus Robin des<br />
Lois, qui a par ailleurs demandé <strong>au</strong> ministre de la Justice<br />
d’intervenir pour que le documentaire puisse bénéficier<br />
d’une « diffusion normale ».<br />
Une action en référé ayant été refusée par le tribunal,<br />
la procédure devrait prendre plusieurs mois.<br />
Nous avons appris il y a quelques jours que le<br />
documentaire qui filme le travail du Contrôle général des<br />
lieux de privation de liberté, À l'ombre de la République,<br />
de Stéphane Mercurio, a lui <strong>au</strong>ssi été frappé d’une interdiction<br />
de projection dans une salle de cinéma après l’intervention<br />
de l’administration pénitentiaire. Cette dernière<br />
était déjà intervenue <strong>au</strong>près de Canal + en mars<br />
2011 pour tenter d’empêcher la diffusion du film. Sans<br />
succès puisque la chaîne avait résisté à la pression.<br />
Stéphane Mercurio rappelle : « L’administration pénitentiaire<br />
combat le film <strong>au</strong> prétexte que certains prisonniers<br />
y apparaissent à visage découvert. Ce fut leur volonté.<br />
C’est <strong>au</strong>ssi leur droit. Comment faire un film documentaire<br />
sans respecter l’<strong>au</strong>tre, sa volonté ? [...] Comment faire<br />
un film sur les droits fondament<strong>au</strong>x avec le Contrôle<br />
général des lieux de privation de liberté sans respecter le<br />
droit à l'image des prisonniers ? Restituer un visage, une<br />
parole à ces hommes et à ces femmes, c’est les ramener<br />
du côté des Hommes. Ne plus laisser penser que ce sont<br />
des f<strong>au</strong>ves, des monstres. »<br />
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