Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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Surveillant pénitentiaire :<br />
un métier humiliant ?<br />
La honte et l’humiliation paraissent être omniprésentes<br />
dans le monde carcéral. D'abord, les personnes<br />
détenues sont déclarées coupables avec<br />
toutes les incidences que cela peut avoir. Rencontrées<br />
donc dès la sentence et parfois poursuivant les infracteurs<br />
comme un c<strong>au</strong>chemardesque fantôme après l’incarcération,<br />
honte et humiliation paraissent en outre se sur-développer<br />
derrière les barre<strong>au</strong>x, de sorte que la prison éteint<br />
le feu de cette culpabilité avec de l’essence.<br />
Si la honte et l’humiliation en détention concernent alors<br />
en premier lieu ceux qui la subissent (les détenus), ces<br />
sentiments pesants ne peuvent-ils pas être considérés<br />
comme un m<strong>au</strong>vais sous-produit du système pénal ? À ce<br />
titre, peuvent-ils toucher les acteurs pénitentiaires les plus<br />
en contact avec les détenus en la personne des surveillants<br />
?<br />
Je me souviens d’une parole que me tenait un surveillant<br />
de prison : « Certains passent un an en prison. Moi,<br />
j’y passe ma vie et quand je rentre le soir, je suis mal à<br />
l’aise dans ma vie personnelle et familiale, et je ne dis<br />
pas à mes enfants que je suis gardien de prison de peur<br />
qu’ils ne reçoivent des coups... » 1<br />
Marylise Lebranchu, députée,<br />
ancienne ministre de la Justice<br />
Des rapports étatiques et européens vont en ce<br />
sens, appuyés par des témoignages de personnels pénitentiaires.<br />
Ainsi, l’humiliation se rencontre-t-elle sous différents<br />
aspects du métier : l’humiliation personnelle ressentie<br />
lors de l’exécution de tâches elles-mêmes humiliantes<br />
(fouilles intégrales, accompagnement d’un détenu<br />
<strong>au</strong> quartier disciplinaire, à l’hôpital, découverte d’un suicide...)<br />
; l’humiliation suscitée par la soumission à une double-hiérarchie<br />
; l’humiliation créée par la déliquescence<br />
des conditions de vie en détention, et donc de travail. À tel<br />
point que la proposition de revalorisation du métier de<br />
surveillant par Marie-Georges Buffet en 2005, se demande<br />
si surveillants et détenus ne sont pas tout <strong>au</strong>tant prisonniers.<br />
Un constat douloureux intervient alors : en prison,<br />
détenus ET surveillants se suicident, permettant alors <strong>au</strong><br />
poison de l’humiliation de se répandre. Produit en détention,<br />
ce dernier frappe détenus et personnels, et ainsi<br />
touche la République en son cœur.<br />
59<br />
Par Olivia Chiron, du GENEPI-La Santé<br />
« L’environnement de la prison, son insalubrité, sont<br />
<strong>au</strong>ssi une humiliation pour les surveillants. Ces derniers<br />
semblent subir le “temps mort” de la prison, tout<br />
comme les détenus. »<br />
Mounir Diari, ancien détenu,<br />
à l’origine de la création de l’association<br />
« J’veux m'en sortir »<br />
Le Rapport de la commission d’enquête du Sénat<br />
<strong>n°</strong> 449 (2000), présidé par M. Cabanel, et intitulé précisément<br />
Prisons : une humiliation pour la République, révèle<br />
cette problématique ancrée dans le système et toujours<br />
d’actualité. Il souligne entre <strong>au</strong>tres le découragement de<br />
la profession qui serait dû à trois soucis majeurs : une<br />
absence de concertation avec l’administration centrale,<br />
un déphasage entre les objectifs et les moyens, et enfin, ce<br />
qui n’est pas sans nous questionner <strong>au</strong> GENEPI, une rivalité<br />
avec les intervenants extérieurs.<br />
L’absence de concertation, tout d’abord, est regrettable<br />
car l’information certes circule, mais à sens unique, réduisant<br />
les personnels pénitentiaires <strong>au</strong> simple rôle d’exécutants<br />
ayant le sentiment que leur opinion n’est pas prise<br />
en considération. Elle peut également être dangereuse<br />
lorsque l’absence de dialogue participe du détachement<br />
de la direction administrative pénitentiaire des réalités de<br />
l’établissement et donc de la pertinence des mesures<br />
prises et à prendre.<br />
Le déphasage entre les objectifs et les moyens, ensuite, est<br />
à l’origine d’un découragement généralisé <strong>au</strong> sein de la<br />
profession et participant à la honte ressentie. Un important<br />
décalage existe en effet entre les missions demandées<br />
(faire de la réinsertion, assurer <strong>au</strong>x détenus les conditions<br />
de détention les meilleures possibles) et les moyens<br />
financiers et humains qui leur sont parcimonieusement<br />
accordés, ce qui, ajouté <strong>au</strong> sous-effectif et <strong>au</strong>x vacances de<br />
postes, détériore les conditions de travail des personnels<br />
pénitentiaires.<br />
En outre, dans les établissements pénitentiaires à gestion<br />
publique qui souffrent d’une insuffisance chronique de<br />
crédits, le directeur et le personnel d’encadrement passent<br />
un temps non négligeable à résoudre des problèmes<br />
urgents d’intendance. Quant <strong>au</strong>x personnels de surveillance,<br />
ils doivent subir <strong>au</strong> quotidien la vétusté et le m<strong>au</strong>vais<br />
entretien des loc<strong>au</strong>x dans lesquels ils travaillent. De<br />
fait, leurs relations avec les détenus s’en <strong>trou</strong>vent modifiées<br />
: il est en effet be<strong>au</strong>coup plus difficile de faire respec-<br />
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