Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# <strong>35</strong> MAARS/AVRIL 2012<br />
dossier<br />
garder du parloir que les fous rires, les confidences, les<br />
choses simples que je partageais avec mon ami. Mais je ne<br />
me suis jamais habituée à cette façon de devoir marcher en<br />
<strong>trou</strong>pe<strong>au</strong>, à attendre derrière et devant des portes, <strong>au</strong>x<br />
larmes de certaines femmes, <strong>au</strong>x pleurs d’enfants, <strong>au</strong> gris, <strong>au</strong><br />
sale, <strong>au</strong> bruit.<br />
Les <strong>au</strong>tres ami(e)s ne sont pas venus <strong>au</strong> parloir. La distance<br />
servait de bonne excuse.<br />
J’ai <strong>trou</strong>vé de l’humanité à côté de ce lieu d’enferment, par<br />
le biais d’une association religieuse, qui ne se souciait pas<br />
de mon absence de conviction à ce sujet. J’ai pu échanger<br />
<strong>au</strong>tour d’un café, laisser le moche avant de pouvoir rendre<br />
le moment du parloir be<strong>au</strong>.<br />
Il ne f<strong>au</strong>t pas rester seule avec la prison que l’on ramène<br />
chez soi. Il f<strong>au</strong>t parler sans avoir honte, pour que les gens<br />
sachent, pour qu’ils arrêtent de croire que ça n’arrive qu’<strong>au</strong>x<br />
<strong>au</strong>tres.<br />
Je ne pourrais plus jamais ignorer la réalité carcérale et si je<br />
l’ai gardée en moi, mon ami à sa sortie est toujours resté un<br />
ex détenu <strong>au</strong> yeux de la société. »<br />
Nath se rend <strong>au</strong> parloir depuis trois ans pour voir<br />
son mari et père de ses enfants :<br />
« Mon mari est incarcéré depuis trois ans. Le premier jour, ça<br />
a été très difficile pour moi et les enfants. Le ciel nous tombait<br />
sur la tête. C’est la première fois que j’étais confrontée à<br />
la pénitentiaire donc je me suis <strong>trou</strong>vée là, sans conseil de<br />
qui que se soit pour les démarches, les demande de parloirs,<br />
les avocats, etc. Ça a vraiment été très dur pour moi et je vis<br />
encore très mal l’incarcération de mon mari car la prison, ça<br />
détruit une famille, les enfants, les proches.<br />
On se lève prison, on mange prison, on dort prison, on rêve<br />
prison. Ça envahit mes pensées tous les jours. Ma famille<br />
m’a tourné le dos car ils ont une m<strong>au</strong>vaise image de la<br />
détention, les gens extérieurs à notre famille nous voient<br />
comme des gens non fréquentables, ils nous jugent sans<br />
savoir.<br />
Depuis l'incarcération de mon mari, mes deux enfants de 5<br />
et 7 ans voient une psychologue ; c’est très dur pour un<br />
enfant d’avoir son papa en prison et ils supportent de moins<br />
en moins les parloirs, ces portes qui se referment à chaque<br />
fois derrière nous, les surveillant qui nous traitent comme<br />
des bêtes s<strong>au</strong>vages, et puis de passer leurs week-ends sur la<br />
route pour se rendre <strong>au</strong> centre de détention.<br />
À chaque parloir, j’ai un ressenti de haine contre l’administration<br />
pénitentiaire ; c’est très dur à vivre car nous n’avons<br />
<strong>au</strong>cune intimité avec mon mari. Une heure de parloir, c’est<br />
très vite passé, et ils ne nous pas une minute de plus.<br />
68<br />
Aujourd’hui, ce que je voudrais dire <strong>au</strong>x personnes qui doivent<br />
visiter un proche en détention, c’est qu’il f<strong>au</strong>t garder le<br />
courage et la force de se battre face à l’administration pénitentiaire<br />
et ne rien lâcher. Il f<strong>au</strong>t tenir le coup et soutenir <strong>au</strong><br />
maximum la personne que vous aller visiter, c’est important<br />
pour lui. Ne pas lui montrer quand est triste et qu’on ne va<br />
pas bien, qu’il nous voit toujours avec le sourire, même si <strong>au</strong><br />
fond de nous, on est très mal ! »<br />
Océane a assumé seule la détention de son<br />
conjoint :<br />
« Je ne connaissais absolument pas le milieu carcéral et<br />
n’avais pas de préjugés, tout simplement parce que je n’y<br />
pensais pas ! Je pense que la plupart des gens ne s’intéresse<br />
pas à la prison ; on sait que ça existe mais on a l’impression<br />
que l’on ne sera jamais concerné par ça jusqu’<strong>au</strong> jour où ça<br />
nous tombe dessus et là, la prison devient omniprésente<br />
dans nos esprits et laisse des traces pour toujours.<br />
J’ai très mal vécu cette incarcération ; pendant plus d’une<br />
semaine, j’ai menti à mes proches, ils n’étaient <strong>au</strong> courant<br />
de rien. Une sorte de déni de ma part... Et puis il fallait le<br />
temps d’encaisser pour ensuite affronter ce que les <strong>au</strong>tres<br />
allaient penser.<br />
Les amis ont subitement tous disparu, du jour <strong>au</strong> lendemain,<br />
plus personne. On croise des personnes par hasard<br />
qui se forcent à dire bonjour mais te fuient du regard. Les<br />
voisins, pareil, bien entendu, plus une seule parole. Mes<br />
parents, j’essayais de les tenir éloignés, de minimiser le plus<br />
possible la situation car je sentais que ça les affectait et ça<br />
ne m’aidait pas non plus. Ma belle-mère étant malade, elle<br />
ne pouvait rien assumer et était très fragile ; j’ai dû tout<br />
assumer car mon conjoint n’avait que moi.<br />
Au parloir, personne à qui parler... Les surveillants restaient<br />
assez distants pour la plupart. Je <strong>trou</strong>ve d’ailleurs regrettable<br />
qu’il n’y ait pas de suivi psychologique pour les familles<br />
de détenus...<br />
Au fil des parloirs, rien n’a changé pour moi. Toujours la<br />
boule <strong>au</strong> ventre, impossible de manger le jour du parloir,<br />
une appréhension énorme d’apprendre une m<strong>au</strong>vaise nouvelle<br />
ou de voir qu’il ne va pas bien. Certaines personnes<br />
s’habituent petit à petit ; ça n’a pas été mon cas. On est<br />
peut-être à l’extérieur, mais c’est comme si on vivait avec<br />
eux en prison ; on ne pense qu’à ça, on ne vit que pour les<br />
visites et notre vie reste en suspens.<br />
Quels conseils donnerais-je pour un premier parloir ?<br />
Chaque personne est différente, c’est difficile à dire...<br />
Essayer de ne pas se renfermer sur soi même et ne pas hésiter<br />
à poser des questions (<strong>au</strong>x service pénitentiaire d’inser-