27.06.2013 Views

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

DR L<strong>au</strong>rent Jacquua<br />

ment consistant à devenir et à affirmer ce dont il f<strong>au</strong>drait<br />

avoir honte. Et Genêt et Sade doivent avoir nombre de<br />

descendants qui du fond de leur cellule ou à leur sortie, en<br />

douce ou en criant, portent leurs goûts et passions jusqu’à<br />

un fanatisme qui est l’ouvrage de la persécution des<br />

tyrans 1 .<br />

Puis la politisation dont le principe pourrait être<br />

celui des pleureuses décrites par Gilles Deleuze : « Ne me<br />

plaignez pas, ne me touchez pas, je m’en charge. » Il s’agit<br />

alors de changer de souffrance, de s’en choisir une <strong>au</strong>tre<br />

pour ne pas se soumettre à celle imposée, comme ces prisonniers<br />

qui se sont cousus les lèvres en signe de protestation<br />

il y a peu. Dans le quotidien des corps et des esprits<br />

en prison, cela implique un changement plus immédiatement<br />

libérateur que l’apparition de nouve<strong>au</strong>x droits qui à<br />

la fois légitimeront et masqueront de nouvelles obligations<br />

contractuelles et dont le respect nécessite des instruments<br />

dont les prisonniers sont démunis 2 .<br />

Et enfin, la réaction sûrement la plus courante<br />

quand même la honte devient inutile, lorsque l’on n’a plus<br />

d’<strong>au</strong>tre espace-temps à habiter que celui du contrôle<br />

social : le suicide. L’organisation de la culpabilité et le<br />

savant dosage individualisé qu’on y introduit (par exemple,<br />

en fournissant des médicaments et un psychologue<br />

de temps à <strong>au</strong>tre en contrepartie de l’affirmation de la<br />

honte) pour éviter une destruction complète et irréversi-<br />

25<br />

ble ont faillit. On dit alors qu’il n’y a pas assez de moyens<br />

et de personnes pour suivre attentivement les effets de la<br />

honte mais c’est bien la rationalité médico-pénitentiaire<br />

qui joue le jeu très dangereux d’inciter à la honte, de la<br />

provoquer puis de la faire supporter et la contrôler. C’est<br />

surtout dans les solutions humanistes mises en place pour<br />

éviter le suicide que se rejoue et se réaffirme la nécessité<br />

des contrôles pouvant y conduire.<br />

NOTES<br />

1. « Cette façon de penser que vous blâmez fait l’unique consolation de ma vie ; elle<br />

allège toutes mes peines en prison... Ce n’est pas ma façon de penser qui a fait mon<br />

malheur, c’est celle des <strong>au</strong>tres... Ces principes et ces goûts sont portés par moi<br />

jusqu’<strong>au</strong> fanatisme, et le fanatisme est l’ouvrage de la persécution de mes tyrans. Plus<br />

ils continuent leurs vexations, plus ils enracinent mes principes dans mon cœur, et je<br />

déclare ouvertement qu’on n’a pas besoin de me parler de liberté, si elle ne m’est<br />

offerte qu’<strong>au</strong> prix de leur destruction. » Cité dans Histoire des savoirs sur le crime et la<br />

peine, tome 1, Éditions DeBoeck, 1995, p.100.<br />

2. « Ce que l’extension de la logique des droits [...] ne prend pas souvent en considération,<br />

c’est que le statut de détenu, pure création pénale, est légitimé d’<strong>au</strong>tant et<br />

que la juridicisation des rapports entre détenus et système de justice pénale contribue<br />

<strong>au</strong>tant sinon plus à la stabilisation du système, <strong>au</strong> renforcement des rôles<br />

pén<strong>au</strong>x et à la punitivité qu’à leur transformation ou à leur fragilisation. [...] Les droits<br />

fondament<strong>au</strong>x requièrent normalement un espace de liberté <strong>au</strong> sein duquel ils peuvent<br />

s’épanouir par l’exercice que l’individu choisit d’en faire. Ils supposent <strong>au</strong>ssi le<br />

respect d’obligations qui en sont la contrepartie, et la possibilité pour le titulaire de<br />

droits d’imposer ce respect. Ces conditions sont loin d’être remplies pour les détenus. »<br />

« L’inscription de droits pour le détenu s’associe en effet à la contractualisation de<br />

l’exécution de la peine et entraîne un rapport renouvelé à la norme carcérale [...]. Les<br />

normes de la punition [...] se contextualisent et s’individualisent, et sont légitimes parce<br />

qu’agrées par le détenu <strong>au</strong>quel elles s’appliquent. Cette version moderne de la légitimité<br />

par le consentement requiert cependant une étude musclée des conditions d’un<br />

tel consentement lorsqu’il est “exigé” dans le rapport pour le moins léonin de la<br />

contrainte pénale. » Dan Kaminski, « Deux leviers d’articulation de l’ordre social et de<br />

la répression pénale : les cibles et les procédures », L’Harmattan, 2006.<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMARRSS/AVRRILL 2201122

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!