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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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très fortement. Seuls ceux qui sont dotés d’un caractère<br />

trempé y survivent.<br />

J’ai crevé d’envie d’exister dans notre société.<br />

Quand je suis tombé, j’ai réellement cru qu’ils allaient me<br />

réparer. Quand je voyais les mots « liberté, égalité, fraternité<br />

», je croyais réellement en ces valeurs... Je pensais qu’il<br />

n’y avait que ça qui pouvait me s<strong>au</strong>ver. Mais quand j’ai vu<br />

qu’ils voulaient m'étouffer dans ma cellule, j’ai bien compris<br />

que j’allais devoir composer sans eux. Et même quand<br />

j’ai mis une corde <strong>au</strong>tour de mon cou pour en finir, pour<br />

cesser de résister à une réalité trop dure à vivre, j’ai compris<br />

qu’il allait falloir que j’assume ce destin et que j’allais<br />

devoir composer seul. On ne fait ce<br />

choix que lorsque l’on constate que<br />

l’on a ces forces en soi. Sinon, on se<br />

laisse porter. À l’intérieur, je n’ai<br />

jamais pris un seul cachet ; pourtant,<br />

Dieu sait qu’on m’en a proposé.<br />

Je comprends tout à fait ceux<br />

qui se jettent dedans, pour oublier<br />

ce qu’ils vivent, parce que c’est trop<br />

dur.<br />

Sans la prison, je ne pense<br />

que pas que je serais devenu<br />

l’homme que je suis <strong>au</strong>jourd’hui.<br />

Sans la prison, la vie ne m’<strong>au</strong>rait pas<br />

éprouvé <strong>au</strong> point de me poser des<br />

questions <strong>au</strong>ssi profondes que<br />

celles que je me suis posées. Notamment<br />

celle de continuer d’exister<br />

ou pas...<br />

Bien sûr, donc, que la prison a été<br />

bénéfique pour moi. Mais sûrement pas dans le prisme<br />

que l’on m’avait proposé. Si j’avais dû simplement être un<br />

exécutant de ma peine, je serai certainement mort à<br />

l’heure actuelle. J’ai simplement fait la différence en devenant<br />

un acteur de ma peine.<br />

J’ai fait la grève de la faim et de la soif pour avoir accès à<br />

des formations. Je ne savais pas comment leur montrer<br />

que j’étais motivé pour me réinsérer.<br />

Et <strong>au</strong>jourd’hui, j’entends bien expliquer que la<br />

première chose à changer, c’est le mot prison. C’est trop<br />

connoté : punition, châtiment, vengeance... Le problème,<br />

# <strong>35</strong> MAARS//AAVRIL 2012 dossier<br />

J’AI CREVÉ D’ENVIE D’EXISTER DANS<br />

NOTRE SOCIÉTÉ. QUAND JE SUIS TOMBÉ,<br />

J’AI RÉELLEMENT CRU QU’ILS ALLAIENT<br />

ME RÉPARER. QUAND JE VOYAIS LES<br />

MOTS « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ »,<br />

JE CROYAIS RÉELLEMENT EN CES<br />

VALEURS... JE PENSAIS QU’IL N’Y AVAIT<br />

QUE ÇA QUI POUVAIT ME SAUVER. MAIS<br />

QUAND J’AI VU QU’ILS VOULAIENT<br />

M'ÉTOUFFER DANS MA CELLULE, J’AI<br />

BIEN COMPRIS QUE J’ALLAIS DEVOIR<br />

COMPOSER SANS EUX. ET MÊME QUAND<br />

J’AI MIS UNE CORDE AUTOUR DE MON<br />

COU POUR EN FINIR, POUR CESSER DE<br />

RÉSISTER À UNE RÉALITÉ TROP DURE À<br />

VIVRE, J’AI COMPRIS QU’IL ALLAIT<br />

FALLOIR QUE J’ASSUME CE DESTIN ET<br />

QUE J’ALLAIS DEVOIR COMPOSER SEUL.<br />

42<br />

c’est qu’on veut absolument faire souffrir la personne<br />

pour la faire payer : mais à quoi sert notre système judiciaire,<br />

notre système pénal ? Pourquoi, tant qu’à faire, ne<br />

revient-on pas trois cents ans en arrière, à écarteler les<br />

gens sur la place publique ? Tout le monde serait content,<br />

à commencer par les victimes. Qu’on ne vienne pas me<br />

parler de pays fondateur des droits de l’Homme alors<br />

qu’on n’arrive pas à les respecter ! Et quand la pénitentiaire<br />

dit vouloir que les détenus soient acteurs de leur<br />

peine, ça me fait bien rigoler. Tant qu’on enfermera des<br />

gens, de quels acteurs parle-t-on ? En prison, la citoyenneté,<br />

la solidarité, l’égalité, la fraternité, la liberté n’existent<br />

pas. L’ensemble des valeurs de notre République n’existe<br />

pas. Alors, de quel acteur parle-t-on<br />

? On peut parler d’acteur de la souffrance,<br />

oui. Mais pas de la France !<br />

Construire des prisons plus<br />

déshumanisées les unes que les<br />

<strong>au</strong>tres, dans lesquelles le t<strong>au</strong>x de<br />

suicide est encore plus élevé que<br />

dans les anciennes prisons – parce<br />

qu’il n’y a plus de lien social, de lien<br />

humain, ça ne sert qu’à ajouter des<br />

places de prison, qu’à rassurer la<br />

population. Je ne suis pas en train<br />

de dire que les victimes n’existent<br />

pas. Mais de la même manière qu’on<br />

a aboli la peine de mort parce qu’on<br />

ne pouvait pas devenir des assassins<br />

pour punir l’assassin, qu’on ne pouvait<br />

pas devenir comme lui, je ne<br />

pense pas que faire subir cette souffrance,<br />

pire, parfois, que celle que les<br />

personnes détenues ont pu faire subir, soit la solution.<br />

Je pense à tous les gens qui sortent de prison et qui n’arrivent<br />

pas à se réinsérer socialement ou professionnellement,<br />

justement parce qu’ils ont été en prison... À quoi ça<br />

sert d’être allé en prison, d’avoir subi tout ce qu’on a subi,<br />

si, une fois qu’on sort, ça continue ?<br />

Quant <strong>au</strong> problème de la surpopulation... Si vous<br />

sortez de prison l’ensemble des gens qui n’ont rien à y<br />

faire, et j'entends par là : les pédophiles, qui pour moi relèvent<br />

de la psychiatrie, les toxicomanes, ceux qui sont en<br />

prison parce qu’ils n’avaient pas leur permis de conduire...

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