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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# <strong>35</strong> MAARS//AAVRIL 2012<br />

dossier<br />

Tiré du film OOrraannggee mmééccaanniiqquuee<br />

n’ait qu’un seul et unique but : la sécurité, dans le respect<br />

des règlements intérieurs des établissements.<br />

Cependant, n’est-il pas envisageable de regarder<br />

cette pratique sous un angle <strong>au</strong>tre que celui des justifications<br />

sécuritaires ? Ne peut-on pas se questionner sur les<br />

effets des fouilles et faire des ponts entre cette pratique<br />

et d’<strong>au</strong>tres, qui <strong>au</strong>raient des points communs sur leurs<br />

effets, sur ce qu’elles produisent ?<br />

Dans son rapport d’activité 2011, le Contrôleur<br />

général des lieux de privation de liberté définit la fouille<br />

corporelle ainsi : « Les fouilles sont indissociables de la privation<br />

de liberté, en particulier les fouilles corporelles,<br />

appelées parfois de “sécurité” qui impliquent que la personne<br />

fouillée se dévête entièrement, à la fois pour vérifier<br />

qu’elle ne dissimule sur elle <strong>au</strong>cun objet dangereux<br />

ou substance prohibée et qu’elle n’en cache pas dans ses<br />

vêtements, qui sont soigneusement examinés. […] De<br />

manière générale toutefois, on peut dire que la fouille “à<br />

corps” est une humiliation pour celui ou celle qui en est<br />

l’objet et une gêne importante pour celui ou celle qui en<br />

est chargé(e). » De cette description ressortent des<br />

choses qui ne transparaissent pas dans les discours officiels<br />

: ce sont les notions d’humiliation et de gêne. Et ces<br />

ressentis ne sont pas seulement affectés <strong>au</strong>x personnes<br />

contraintes à la nudité mais <strong>au</strong>ssi <strong>au</strong>x surveillants de l’administration<br />

pénitentiaire qui sont chargés de la fouille<br />

comme le montre ce témoignage d’une surveillante :<br />

« Maintenant, je ne fais même plus attention, je ne vois<br />

plus les femmes qui sont à poil et puis des fois, on en voit<br />

tellement dans la journée. [...] Ça a été très dur, mes deux<br />

premières fouilles, surtout avec des personnes plus<br />

36<br />

âgées. » 3 La suite de son témoignage<br />

montre que cette surveillante<br />

a développé des techniques<br />

pour parer à cette gêne et, qu’avec<br />

le temps, l’habitude prend le pas sur<br />

la gêne : « Maintenant, ça ne me fait<br />

plus rien du tout et puis bon, on<br />

prend ça avec humour : “Allez vous<br />

mettez la jambe de bois, l’œil de<br />

verre, le dentier, tout sur la table et<br />

je ferai le tri”. Bon et puis on papote<br />

comme ça et ça passe mieux [...] je<br />

fais parler et en parlant, ça passe<br />

mieux. »<br />

Lors de l’entrée en détention,<br />

tout détenu passe nécessairement<br />

par une fouille corporelle. Daniel<br />

Welzer-Lang, Lilian Mathieu et Michaël F<strong>au</strong>re évoquent<br />

un « rite de passage propre <strong>au</strong> milieu carcéral » qui<br />

« marque la séparation entre l’extérieur – le “reste de la<br />

société” – et l’intérieur – la prison. » 4 Cet acte rituel fait<br />

partie de tout un ensemble de choses qui font de la personne<br />

un détenu. De même qu’il y a le monde « extérieur<br />

» et le monde « intérieur », on peut dire qu’il existe<br />

des hommes et des femmes à « l’extérieur » et des<br />

détenu/e/s à « l’intérieur ».<br />

C’est à partir de cette séparation de l’espace en deux<br />

sphères opposées que se forment des critères différenciés<br />

pour les personnes qui se <strong>trou</strong>vent d’un côté ou de<br />

l’<strong>au</strong>tre. « Se dévêtir, alors même que les vêtements pénitentiaires<br />

obligatoires ont disparu, c’est abandonner ses<br />

références <strong>au</strong> “dehors” pour se fondre dans l’uniformité<br />

carcérale. » 5<br />

Primo Levi décrit le même type de mécanisme<br />

dans son ouvrage Si c’est un homme. Il y explique la multitude<br />

d’étapes par lesquelles passe un déporté arrivant<br />

<strong>au</strong> camps d’Auschwitz : le fait d’être dénudés, lavés, tondus,<br />

tatoués… Toutes ces étapes font tomber l’être<br />

humain dans l’anonymat, dans l’oubli de sa personne.<br />

Une nouvelle identité s’offre alors à lui : celle de déporté,<br />

reconnaissable grâce à son numéro. C’est bien ici une<br />

déshumanisation qui est opérée étape par étape. La personne<br />

confrontée à ce mécanisme se re<strong>trou</strong>ve complétement<br />

dépossédée d’elle-même.<br />

Selon Antoinette Ch<strong>au</strong>venet, de la même façon, en prison,<br />

« le dispositif sécuritaire œuvre à renforcer considérablement<br />

l’altérité » des personnes détenues en tant que

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