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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# <strong>35</strong> MAARS//AAVRIL 2012<br />

dossier<br />

liter <strong>au</strong> mieux les démarches administratives. Que les<br />

individus ne viennent pas bloquer la machine de l’administration<br />

pénitentiaire. « On sait que ça ne répond pas à<br />

un souci sécuritaire, la fouille, c’est l’acte qui te fait passer<br />

du statut d’être humain à celui de t<strong>au</strong>lard » 10 .<br />

La prison détruit l’identité individuelle, la mécanique carcérale<br />

déshumanise l’individu qui s’y <strong>trou</strong>ve car si ce dernier<br />

est construit par la société, elle s’arrête malheureusement<br />

encore <strong>au</strong>x portes de la prison. Encore une fois, c’est<br />

l’opposition dichotomique entre l’extérieur et l’intérieur,<br />

entre la prison et la société qui apparaît.<br />

Plusieurs témoignages d’anciens ou d’actuels<br />

détenus parlant de leur malaise sont choquants et alarmistes<br />

: « J’ai annulé un parloir et je vais demander à mon<br />

épouse de venir me voir une fois par mois <strong>au</strong> lieu de tous<br />

les quinze jours, pour limiter cette mise à poil systématique.<br />

Âgé de 72 ans et demi, je <strong>trou</strong>ve ce procédé dégradant.<br />

C’est une atteinte à la dignité humaine. » 11<br />

Dans ses discours, l’administration pénitentiaire<br />

dit que la réinsertion fait partie de ses missions. Or, la destruction<br />

de l’identité individuelle et la perte des liens<br />

famili<strong>au</strong>x ne sont-elles pas contradictoires avec une telle<br />

mission ? C’est un débat qui mérite d’être soulevé.<br />

La fouille corporelle est un exemple parmi d’<strong>au</strong>tres<br />

de mécanisme de dépossession de soi. On pourrait<br />

également évoquer le « floutage » des visages des détenus<br />

interviewés alors même qu’ils voudraient apparaître<br />

à visage découvert 12 . Ils sont également dans ce cas soumis<br />

à une décision qui est arbitraire, <strong>au</strong>toritaire et qui<br />

peut-être vue comme vexatoire. L’administration pénitentiaire<br />

« entend ainsi maintenir la personne incarcérée<br />

dans l’absence d'<strong>au</strong>tonomie ; elle veut continuer à lui<br />

donner son visage de criminel, c’est-à-dire précisément<br />

le portrait de quelqu’un sans visage et sans humanité » 13 .<br />

Il existe une multitude de ces mécanismes qui visent à<br />

réduire l’individu à un statut déshumanisé comme peut<br />

l’être le statut de détenu.<br />

Selon Olivier Razac, « la dureté des traitements<br />

en prison n’est pas la source de la dégradation, elle est<br />

plutôt le signe et l’outil d’une dégradation sociale plus<br />

38<br />

profonde, plus essentielle » 14 . À partir de là, n’est-on pas<br />

en droit de se demander quelles sont les conséquences<br />

psychologiques que peuvent entraîner cette dureté sur<br />

l’individu ? Sans rentrer dans des conclusions qui pourraient<br />

paraître simplistes, ne peut-on pas émettre l’hypothèse<br />

d’un lien entre les mécanismes de déshumanisation,<br />

de dépossession de soi et la détresse psychologique<br />

dans laquelle se re<strong>trou</strong>vent certaines personnes détenues<br />

? Serait-il indécent de faire un lien entre le fait de ne<br />

plus se sentir soi-même, d’avoir un « statut de t<strong>au</strong>lard » 15 ,<br />

de ne plus vraiment faire partie de la société et le nombre<br />

de suicides plutôt élevé en prison (109 l’an passé dans les<br />

prisons françaises) ? Et si on osait un lien entre les problèmes<br />

de réinsertion et la m<strong>au</strong>vaise image du détenu<br />

qui n’est vu qu’à travers son délit ou son crime, et dont on<br />

oublie tout caractère humain ? À toutes ces questions, il<br />

n’existe pas de réponse unique. En revanche, il n’est peutêtre<br />

pas inutile d’émettre ces hypothèses.<br />

« Je préfère qu’on en reste à mon bon vieux postulat<br />

: si on traite bien quelqu’un en détention, il a plus de<br />

chances de s’amender que si on le traite mal. Quand on<br />

traite les gens comme des bêtes f<strong>au</strong>ves, ils se comportent<br />

en bêtes f<strong>au</strong>ves. C’est un déterminisme un peu plat, je<br />

n’en disconviens pas, mais qui v<strong>au</strong>t be<strong>au</strong>coup mieux à<br />

mon avis que des échelles de mesure de la dangerosité »<br />

(Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privations<br />

de liberté).<br />

NOTES<br />

1. On peut entendre ici le terme violence comme une violence symbolique et légitime,<br />

selon les définitions qu’en fait Pierre Bourdieu.<br />

2. Antoinette Ch<strong>au</strong>venet, « “Les prisonniers” : construction et déconstruction d’une<br />

notion », Pouvoirs, <strong>n°</strong> 1<strong>35</strong>, 2010.<br />

3. Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu et Michaël F<strong>au</strong>re, Sexualités et violences en prison.<br />

Ces abus qu'on dit sexuels…, Aléas Editeur, 1996.<br />

4. Ibid.<br />

5. Conférence de presse du Contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de<br />

la remise de son rapport 2011.<br />

6. Antoinette Ch<strong>au</strong>venet, « “Les prisonniers” : construction et déconstruction d'une<br />

notion », Pouvoirs, <strong>n°</strong> 1<strong>35</strong>, 2010.<br />

7. Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu et Michaël F<strong>au</strong>re, Op. cit.<br />

8. Ibid.<br />

9. Ibid.<br />

10. Témoignage anonyme recueilli par l’OIP, http://prison.eu.org/spip.php?breve11539<br />

11. http://www.rue89lyon.fr/2012/02/24/les-fouilles-a-nu-illegales-continuent-en-prison/<br />

12. Voir notre article sur le sujet page 13 de ce numéro.<br />

13. Conférence de presse du Contrôleur général des lieux de privation de liberté lors de<br />

la remise de son rapport 2011.<br />

14. Avec Fouc<strong>au</strong>lt, Après Fouc<strong>au</strong>lt. Disséquer la société de contrôle, L’Harmattan, 2008.<br />

15. Témoignage anonyme recueilli par l’OIP, http://prison.eu.org/spip.php?breve11539

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