Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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Le retour de la double peine<br />
L’Assemblée nationale a adopté, le 6 mars dernier, une<br />
proposition de loi « tendant à renforcer l’effectivité de<br />
la peine complémentaire d’interdiction du territoire<br />
français (ITF) », visant à rétablir la double peine en <strong>au</strong>torisant,<br />
de manière <strong>au</strong>tomatique, les expulsions d’étrangers 1<br />
condamnés à une peine d’<strong>au</strong> moins cinq ans de prison 2 .<br />
Cette pratique, qui avait pourtant été fortement allégée 3<br />
en 2004 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur,<br />
consiste à expulser un étranger après qu’il a exécuté sa<br />
peine de prison.<br />
L’interdiction du territoire a été créée par le législateur<br />
pour rétablir l’égalité entre Français et étrangers<br />
17<br />
devant la loi pénale. En effet, seuls les Français pouvaient<br />
se voir condamnés en plus d’une peine d’emprisonnement<br />
à une interdiction de droits civiques, civils et famili<strong>au</strong>x,<br />
les étrangers n’ayant ou n’étant pas titulaires de ces<br />
droits, ils ne pouvaient donc se les voir retirer. À suivre<br />
cette logique, l’alignement des droits civiques et soci<strong>au</strong>x<br />
entre Français et étrangers ces dernières décennies <strong>au</strong>rait<br />
dû balayer l’ITF. Or, il n’en est rien ; <strong>au</strong>jourd’hui, le prononcé<br />
d’une peine de prison assortie d’une ITF (établie<br />
par le juge, contrairement à l’expulsion, qui est une décision<br />
administrative 4 ) est une des traductions juridiques de<br />
la double peine.<br />
La g<strong>au</strong>che a vivement dénoncé une mesure proposée<br />
par l’aile droitière du groupe UMP de l’Assemblée.<br />
« Si ce texte, qui tend à mettre les projecteurs sur l’odieux<br />
prétendu binôme délinquance-étrangers, est <strong>au</strong>jourd’hui<br />
discuté, c’est d’abord parce que le président-candidat a<br />
décidé d’emprunter, dans sa campagne, ce sillon creusé<br />
depuis de trop nombreuses années », a rappelé Marc<br />
Dolez (Front de G<strong>au</strong>che).<br />
Selon la Cimade 5 , qui rappelle qu’en 2010, 1 693<br />
interdictions judiciaires du territoire français ont été prononcées,<br />
« cette sanction pénale directement liée à la<br />
nationalité étrangère devrait être abrogée de nos lois<br />
françaises puisqu’elle est discriminatoire » 6 , en ce qu’elle<br />
touche uniquement les étrangers et ne vise pas les<br />
Français. De plus, « cette proposition de loi stigmatise<br />
encore plus les personnes étrangères, en créant un lien<br />
nullement démontré scientifiquement entre délinquance<br />
et personnes étrangères ».<br />
Fort heureusement, débattu en pleine campagne<br />
pour l’élection présidentielle, l’avenir de cette loi n’est pas<br />
assuré.<br />
NOTES<br />
par Claire vd Bogaard<br />
1. Quelles que soient la durée du titre de séjour ou la période de présence régulière en France.<br />
2. Ce texte, proposé par Jean-P<strong>au</strong>l Garr<strong>au</strong>d, prévoit également que les peines planchers, qui sont<br />
réservées <strong>au</strong>x récidivistes, soient également appliquées <strong>au</strong>x délinquants « réitérants », les personnes<br />
jugées pour des infractions différentes de celles pour lesquelles elles ont déjà été condamnées.<br />
3. Cependant, si « l’ITF n’a pas <strong>au</strong>jourd'hui de caractère obligatoire, elle est trop souvent utilisée<br />
comme peine complémentaire et quasi-systématiquement en comparution immédiate » ; la double<br />
peine « est donc bel et bien effective », dénonce La Cimade.<br />
4. « Elle est alors arrêtée par le ministère de l’Intérieur sans débat préalable et contradictoire, toujours<br />
<strong>au</strong> mépris de la situation personnelle ou familiale de l’individu, jamais <strong>au</strong> regard de véritables<br />
preuves de risque pour la sécurité publique et toujours sur le seul fondement d’une condamnation<br />
pénale. » Stéphane M<strong>au</strong>gendre, « La double peine est morte. Vive la double peine ! »,<br />
Mouvements, <strong>n°</strong> <strong>35</strong>, mai 2004.<br />
5. Association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile.<br />
6. Communiqué du 16 février 2012.<br />
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