Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# <strong>35</strong> MAARS//AAVVRIL 2012<br />
dossier<br />
C’est l’une des plus belles plages de Corse. Une<br />
langue de sable blanc qui s’étire sur une dizaine de<br />
kilomètres. Alignées face à la mer, douze cannes à<br />
pêche sont plantées dans le sable. Deux pêcheurs commentent<br />
leurs prises. Un superbe loup qu’ils cuisineront<br />
ce soir, peut-être <strong>au</strong> barbecue. Plus h<strong>au</strong>t sur les dunes,<br />
contre la pinède, un homme tire sur sa cigarette, un bouquin<br />
entre les mains. Tandis que trois <strong>au</strong>tres fixent en<br />
silence, comme hypnotisés, l’horizon bleu indigo. Partout<br />
où se porte le regard, on ne voit que des hommes. La plupart<br />
d’entre eux ont été condamnés pour viol, pédophilie<br />
ou inceste.<br />
Vous êtes <strong>au</strong> centre de détention de Casabianda, à<br />
70 kilomètres <strong>au</strong> sud de Bastia. Une prison unique en<br />
Europe, dont les détenus sont à 81 % des délinquants<br />
sexuels. Un centre pénitentiaire à ciel ouvert, sans miradors<br />
ni murs d’enceinte, sur 1 400 hectares de prairies et<br />
de forêts d’eucalyptus coupés en deux par la N 198. Des<br />
détenus disputent une partie de tennis sur l’un des deux<br />
courts de la prison. Ici, on peut faire de la planche à voile,<br />
du VTT et même du golf.<br />
Cette étonnante description nous interroge très<br />
naturellement sur le sens de la peine dans nos sociétés.<br />
Pour l’administration pénitentiaire, Casabianda est une<br />
prison modèle qui contrebalance l’image des prisons<br />
françaises, vétustes et surpeuplées. Pour d’<strong>au</strong>tres, en<br />
accordant un régime de faveur à ceux que la société<br />
considère souvent comme des monstres, Casabianda est<br />
une aberration.<br />
En y réfléchissant bien, cette prison joue son<br />
rôle d’enfermement, de privation de liberté et, mieux que<br />
toute <strong>au</strong>tre, son rôle de réhabilitation et de réinsertion.<br />
Mais on voit bien que cela peut choquer. Par définition, ce<br />
qui choque vient brusquer frontalement nos penchants<br />
naturels. Le penchant naturel entendu ici est celui qui<br />
nous conduit à vouloir punir le déviant, à le faire souffrir.<br />
Un détenu qui ne souffre pas assez paie-t-il sa dette à la<br />
société ? La loi du Talion, « œil pour œil », a certes été<br />
abrogée mais elle subsiste insidieusement et indirectement<br />
puisque la prééminence et les conditions de la<br />
peine de prison sont telles encore <strong>au</strong>jourd’hui qu’il serait<br />
naïf de croire qu’elles ne dissimulent <strong>au</strong>cun penchant de<br />
vengeance. Et notre raison voit <strong>trou</strong>ble puisque notre<br />
démocratie utilise l’enfermement pour défendre notre<br />
liberté. Un grand paradoxe moral, qui a notamment<br />
conduit Albert Camus à considérer que la valeur d’une<br />
Honte à nos prisons !<br />
Répondre à la violence par la violence engendre la violence<br />
86<br />
Par David Zana,<br />
Du GENEPI-Osny<br />
civilisation pouvait se mesurer à la manière dont celle-ci<br />
traite ses déviants.<br />
Notre système pénal repose sur l’idée de peine.<br />
La peine présente, sur la vengeance, l’avantage d’empêcher<br />
l’escalade des représailles. Une des fonctions du système<br />
pénal est justement de lutter contre le sentiment<br />
qu’il est légitime de rendre les coups.<br />
Mais les hontes et les humiliations qui résultent de l’incarcération<br />
plaident assez nettement en faveur du maintien<br />
d’une dose de vengeance que notre système pénal<br />
se garde bien évidemment de relever.<br />
Cette façon d’envisager la punition entraine des sentiments<br />
tels que la colère et l'injustice. Des études sur les<br />
souffrances psychiques liées à la détention mettent en<br />
exergue ce ressenti de colère contre le système. La honte<br />
s’intensifie <strong>au</strong> cours de l’incarcération et est généralement<br />
mêlée à des sentiments de frustration et d’anxiété<br />
importants. Ces sentiments peuvent prendre leur source<br />
dans l’humiliation, corollaire de la honte dans l’incarcération.<br />
Nous constatons ici le pouvoir désocialisant de la prison<br />
à travers l’utilisation de la honte comme dénigrement de<br />
l’individu.<br />
L’humiliation est une manière assumée de mettre à<br />
l’écart un individu en niant sa qualité d’homme, et le respect<br />
dû à cette qualité, par certains actes. La fouille ou<br />
l’ouverture de la porte de la cellule par le surveillant sont<br />
deux exemples de la violation de l’intimité, qui est cependant<br />
sacrée pour chaque être humain.<br />
Après leur sortie de prison, les relégués ont<br />
conscience du rejet qu’ils suscitent, non seulement dans<br />
la société, mais également dans leur propre famille, et<br />
certains en viennent à se dénigrer. Le sentiment visé ici<br />
est celui de la souffrance liée à l’absence de reconnaissance<br />
valorisante. Ce déni de reconnaissance provoque<br />
perte de confiance en soi, pessimisme à l’égard de la<br />
société et révolte. Les spectres d’irréversibilité, voire de<br />
fatalité, pèsent alors, confortés par un dialogue avec la<br />
société ancrée dans les stigmatisations. La reconnaissance<br />
de l’individu est nécessaire pour qu’il puisse se<br />
penser sujet de sa propre vie. La vertu suprême serait le<br />
pardon mais probablement ne pouvons-nous qu’y tendre.<br />
La vengeance figure également parmi les suites<br />
probables <strong>au</strong>x sentiments de honte et d’humiliation