Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# <strong>35</strong> MARS/AVRIL 2012<br />
dossier<br />
DR Lore Marguir<strong>au</strong>t<br />
arrivé en France à l’âge de quatre ans. J’ai grandi en<br />
France. J’ai fait toute ma scolarité en France, depuis la<br />
maternelle. Je ne suis pas un enfant du bled, je suis un<br />
enfant d’ici, un enfant de la France.<br />
Heureusement, grâce à la Cimade [une association de<br />
solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les<br />
demandeurs d’asile] qui m’a aidé dans mes démarches,<br />
j’ai pu avoir des papiers en 2008. Même si c’est encore un<br />
titre de séjour provisoire d’un an, sur lesquels il est inscrit<br />
que je suis arrivé sur le territoire français en 2002... Alors<br />
que c’était en 1974 ! Du coup, <strong>au</strong>jourd’hui encore, si je me<br />
fais contrôler, ils peuvent considérer que ça ne fait que<br />
peu de temps que je suis en France et, <strong>au</strong> moindre problème,<br />
je dégage !<br />
J’ai du mal à croire encore <strong>au</strong> fameux « liberté,<br />
égalité, fraternité ». Ça n’existe pas pour moi, ça n’a jamais<br />
existé. Je préfère ne même pas y penser, j’en ai mal à la<br />
tête de toute cette haine. Attention, je ne veux pas dire<br />
que les Français ne sont pas accueillants, ce serait malhonnête<br />
de ma part... Je parle de leur système judiciaire,<br />
78<br />
carcéral... On ne peut pas<br />
justifier cette double peine,<br />
c’est tellement discriminatoire.<br />
Si mon frère<br />
avait été impliqué dans le<br />
trafic, lui qui est français,<br />
on ne l’<strong>au</strong>rait pas forcé à<br />
rentrer chez lui ! Mais moi,<br />
j’ai fait ma peine, et après,<br />
j’ai dû en subir une <strong>au</strong>tre,<br />
qui a duré vingt ans de ma<br />
vie.<br />
Il y a peu, un de mes<br />
voisins, <strong>au</strong> foyer dans lequel<br />
je vis, m’a agressé, il<br />
m’a craché dessus, a insulté<br />
ma mère. Je n’ai rien<br />
fait car je me disais que<br />
j’allais retourner en prison.<br />
Puis il a sorti un coute<strong>au</strong> et<br />
j’ai été obligé de me défendre.<br />
D’<strong>au</strong>tres voisins<br />
avaient appelé la police et<br />
quand ils ont emmené<br />
l’homme qui m’avait agressé, ils m’ont demandé de venir<br />
avec eux. Je n’ai fait que déposer une main courante mais<br />
la police m’a demandé de venir comme témoin <strong>au</strong> tribunal.<br />
Et <strong>au</strong> tribunal, il a été fait état de mon casier judiciaire<br />
! Comme si cela justifiait que je me sois fait agressé.<br />
C’est moi qui étais victime. J’ai l’impression qu’une fois<br />
qu’on est passé par la prison, ça vous suit, et ça me suivra<br />
toute ma vie. Comme si ma parole avait moins de valeur<br />
qu’une <strong>au</strong>tre...<br />
Malgré ça, je garderai toujours la tête h<strong>au</strong>te.<br />
Pendant vingt ans, on m’a volé ma vie. Le plus dur, c’est,<br />
encore à l’heure actuelle, de subir. De se remettre à<br />
nive<strong>au</strong>. Les gens ont évolué, en vingt ans. Moi, je me suis<br />
battu contre tout et je n’ai pas pris le temps d'avancer.<br />
Mes frères se sont mariés. Moi, j’en suis encore à <strong>trou</strong>ver<br />
un appartement, un bon boulot. C’est très dur de remonter<br />
la pente. À chaque fois que je rentre <strong>au</strong> foyer, j’ai l’impression<br />
d’être en prison. La chambre, avec son petit lit,<br />
ressemble tellement à une cellule ! Je ne supporte pas,<br />
j’essaie de rentrer le plus tard possible...