Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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L’homme qui voulait rester <strong>debout</strong><br />
Le Pape Clément XI fît écrire en 1703 sur les murs de la<br />
prison Saint-Michel de Rome cette phrase devenue<br />
célèbre : « Il ne suffit pas d’effrayer les hommes malhonnêtes<br />
par la menace de la peine, il f<strong>au</strong>t les rendre honnêtes<br />
par son régime ». Sans retenir l’ensemble des éventuelles<br />
implications de l’analyse à laquelle pourrait<br />
conduire cette inscription, il f<strong>au</strong>t ici souligner la contradiction<br />
manifeste qu’offrent honte et humiliation en prison<br />
avec une telle finalité, proche d’une justice réhabilitative.<br />
Dans l’article consacré à la pièce de Jean-Marc<br />
Mahy, Un homme <strong>debout</strong>, jouée notamment <strong>au</strong> festival<br />
d’Avignon, un Génépiste disait des « choix esthétiques<br />
opérés par la mise en scène » qu’ils semblaient « procéder<br />
du postulat d’une irréductibilité de la souffrance de l’enfermement,<br />
qui ne peut se dire et se réfléchir, mais seulement<br />
se ressasser, et dont l’<strong>au</strong>thenticité, par conséquent,<br />
ne survivrait pas à une mise en discours » 2 .<br />
Ce seul en scène, écrit et mis en scène par Jean-Michel Van<br />
den Eeyeden, pose la question fondamentale de la honte<br />
et de l’humiliation en prison, à savoir la résolution apparemment<br />
impossible du paradoxe tiré d’une incompatibilité<br />
entre le cadre carcéral et le respect des droits de<br />
l’Homme. Là où la honte renvoie à un sentiment de culpabilité,<br />
de déshonneur, l’humiliation définit le fait de blesser<br />
quelqu’un dans son amour-propre. Ces deux termes,<br />
qui semblent difficilement aller l’un sans l’<strong>au</strong>tre, évoquent<br />
donc l’intervention d’une tierce personne dont l’action<br />
engendre un reflet dévalué et réducteur de lui-même <strong>au</strong><br />
sujet. Dans La puissance des émotions 3 , Michelle Larivey,<br />
psychologue humaniste, disait à ce sujet que l’ « on<br />
n’éprouve jamais de la honte seul face à soi-même. La<br />
honte est un sentiment qui est toujours vécu “devant” les<br />
<strong>au</strong>tres et “par rapport” à leur jugement ». Ce tiers renvoie<br />
tant à une partie du personnel pénitentiaire qu’à l’institution<br />
carcérale elle-même, sans omettre les comportements<br />
de certaines personnes détenues.<br />
La pertinence du sujet relatif à la honte et à l’humiliation<br />
en prison invite à traiter le sujet en prenant<br />
directement racine dans le vécu dont elle met en exergue<br />
les aspects les plus intolérants. C’est pourquoi l’analyse du<br />
sujet sera centrée sur le parcours de Jean-Marc Mahy qui<br />
témoigne, dans son seul en scène, de ses dix-neuf années<br />
57<br />
Par Prune Missoffe, du GENEPI-Nanterre<br />
Jean-Marc Mahy met en scène ses dix-neuf années passées en prison, dans la pièce de théâtre UUnn hhoommmmee ddeebboouutt.<br />
Il poursuit son témoignage dans AApprrèèss llee mmeeuurrttrree,, rreevviivvrree, à paraître en France 1 . Ce témoignage, recueilli par<br />
Anne-Marie Pirard, est mêlé à celui de Jean-Pierre Malmendier, dont la fille a été assassinée.<br />
passées en prison. Condamné pour vol avec violence<br />
ayant entraîné la mort sans intention de la donner, Jean-<br />
Marc Mahy se re<strong>trou</strong>ve dans un centre fermé pour jeunes<br />
délinquants. Mais six mois après, le juge de la jeunesse se<br />
dessaisissant de son dossier, il est envoyé en prison, et ce<br />
malgré ses demandes insistantes pour rester dans le centre<br />
qu’il vit comme « une période d’espoir ». Un an après<br />
avoir franchi la porte de la prison, il s’évade avec deux<br />
<strong>au</strong>tres détenus. C’est là que, pris de panique lors d’une<br />
vérification d’identité, il donne la mort à un policier.<br />
La mise en scène d’Un homme <strong>debout</strong> confère<br />
toute sa force <strong>au</strong> témoignage livré par Jean-Marc Mahy,<br />
dans lequel il revit sa « condition » d’homme détenu. Le<br />
décor d’une cellule, épuré de tout artifice et criant de<br />
vérité, offre à ce témoignage un cadre réaliste qui rend<br />
compte de l’étendue que peuvent prendre honte et humiliation<br />
dans l’univers carcéral. Un simple rectangle de<br />
scotch noir de la taille d’une cellule matérialise ainsi le<br />
confinement de la personne détenue dans un espace<br />
réduit et isolé. En premier lieu, la cellule semble en ellemême<br />
faire figure de source de honte et d’humiliation<br />
pour la personne détenue. Parce qu’il anéantit toute<br />
liberté d’aller et de venir, le cadre cellulaire prive l’homme<br />
détenu de la liberté prise dans sa dimension la plus essentielle.<br />
Aller et venir est pour toute personne une liberté<br />
naturelle en ce qu’elle semble incarnée dans son essence<br />
même. Spontanée, cette liberté se voit ainsi reconnaître<br />
une valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel<br />
dans une décision du 12 janvier 1977 4 .<br />
Ensuite, et plus généralement, l’espace carcéral est ce<br />
cadre malheureux d’épanouissement de la honte et de<br />
l’humiliation. La précarité des conditions, la promiscuité<br />
imposée, parfois chaleureuse, mais également parfois<br />
annihilatrice, est celle-là même qui offre à la honte et à<br />
l’humiliation un cadre où prendre racine, un cadre où tout<br />
est nécessairement ressenti plus intensément qu’en<br />
milieu ouvert. Alors que l’isolement social est généralement<br />
la conséquence de la honte, il participe, dans le<br />
milieu carcéral, à son émergence et, plus encore, à l’ampleur<br />
qu’elle revêt.<br />
Dans Après le meurtre, revivre, Jean-Marc Mahy<br />
évoque sa première année de prison. L’allusion à l’humilia-<br />
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