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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# <strong>35</strong> MAARS//AAVRIL 2012<br />

dossier<br />

raient être condamnées plus lourdement, l’<strong>au</strong>teur s’intéresse<br />

à l’assignation aléatoire des dossiers <strong>au</strong>x juges en<br />

Californie. Certains juges étant plus sévères que d’<strong>au</strong>tres<br />

(ce qui est mesurable), Kling peut ainsi comparer des profils<br />

identiques condamnés à des peines différentes du<br />

simple fait de l’attribution à tel ou tel magistrat. S’il<br />

constate un retour à l’emploi légèrement plus lent pour<br />

les personnes ayant effectué une peine longue, cet effet<br />

disparait rapidement et <strong>au</strong>cun impact n’est encore visible<br />

sept ans après la condamnation. La stigmatisation semble<br />

donc porter sur l’existence d’un passage en prison, et non<br />

sur la longueur de celui-ci.<br />

Cette étude est cohérente avec un test, plus<br />

inquiétant, ayant été fait quelques années plus tôt. Au<br />

début des années 1960, Richard Schwartz et Jerome<br />

Skolnick 17 ont envoyé des CV à différentes entreprises<br />

américaines. Ces candidatures variaient<br />

uniquement sur le passé<br />

pénal des individus. 25 ne mentionnaient<br />

<strong>au</strong>cune expérience carcérale,<br />

25 <strong>au</strong>tres faisaient état d’une<br />

condamnation, 25 évoquaient une<br />

condamnation suivie d’un acquittement et les 25 dernières<br />

joignaient, pour preuve de leur innocence, une lettre<br />

d’un juge certifiant la mise hors de c<strong>au</strong>se. Les t<strong>au</strong>x de<br />

réponse furent respectivement de 36 %, 4 %, 12 % et 24 %.<br />

Ces résultats datent et portent sur un échantillon de faible<br />

taille. Cependant, ils mettent là encore en avant l’effet<br />

stigmatisant du passage en détention. Même acquittées,<br />

les personnes passées en détention souffrent d’une discrimination<br />

à l’emploi, bien que celle-ci soit plus faible.<br />

Dans le même article, Schwartz et Skolnick s’intéressaient<br />

à l’effet d’une condamnation à une peine non<br />

carcérale prononcée à l’encontre de médecins. Les <strong>au</strong>teurs<br />

réalisèrent des entretiens avec 56 personnes dont<br />

18 avait été acquittées lors du procès. Un seul praticien<br />

mettait en avant un impact négatif sur son activité. Si<br />

cette étude est à prendre avec préc<strong>au</strong>tion (l’échantillon<br />

est faible, la mesure du préjudice est purement déclaratoire),<br />

elle va à l’encontre des résultats théoriques avançant<br />

un effet de la stigmatisation plus important pour les<br />

catégories socioprofessionnelles favorisées. Le cas des<br />

médecins diffère cependant en ce qu’ils exercent des professions<br />

libérales et n’ont donc pas à convaincre un employeur,<br />

et peuvent bénéficier d’une certaine inertie de<br />

leur clientèle et de leur relations professionnelles (certains<br />

témoignages avançaient un effet de compensation<br />

des <strong>au</strong>tres médecins cherchant à compenser le préjudice<br />

MÊME ACQUITTÉES, LES PERSONNES<br />

PASSÉES EN DÉTENTION SOUFFRENT<br />

D’UNE DISCRIMINATION À L’EMPLOI,<br />

BIEN QUE CELLE-CI SOIT PLUS FAIBLE.<br />

82<br />

en envoyant plus de patients à ces confrères ayant eu à<br />

faire à la justice).<br />

… ET SELON LA SPHÈRE SOCIALE<br />

Indépendamment de la personnalité du condamné,<br />

la perception de l’acte par le corps social peut elle<br />

<strong>au</strong>ssi varier largement. Dans une étude portant sur la perception<br />

de la violence dans les différents états américains,<br />

Dov Cohen et Richard Nisbett 18 ont eux <strong>au</strong>ssi utilisé<br />

la méthode des candidatures spontanées. Ils ont fait<br />

varier le type d’acte à l’origine de la condamnation : vol<br />

ou violences ayant c<strong>au</strong>sé la mort pour une affaire « d’honneur<br />

» (le candidat disait avoir <strong>trou</strong>vé sa compagne dans<br />

une situation peu décente avec un <strong>au</strong>tre homme entraînant<br />

une réaction violente de sa part). Les lettres furent<br />

envoyées à différentes filiales de<br />

quelques grands groupes implantés<br />

partout <strong>au</strong>x États-Unis. Si le t<strong>au</strong>x<br />

de réponse ne varia pas d’une zone<br />

géographique à l’<strong>au</strong>tre dans les cas<br />

de vol, ils constatèrent un plus<br />

grand nombre de réponses et une plus grande cordialité<br />

des courriers dans les états du sud que dans ceux du nord<br />

pour les lettres de motivation mentionnant un crime passionnel.<br />

Autre mesure du même phénomène, ils demandèrent<br />

à des étudiants en journalisme de différents états<br />

de rédiger un article à partir d’un descriptif de fait de violence<br />

« d’honneur ». Là encore, ils constatèrent une plus<br />

faible réprobation dans les états du sud. Ces résultats servaient<br />

à démontrer l’existence d’une « culture de la violence<br />

» dans les états du sud. Ils mettent en tout cas en<br />

avant le fait, somme toute assez peu surprenant, que l’importance<br />

accordée à la condamnation est modulable<br />

selon les cultures <strong>au</strong>-delà de ce que peut dire la loi.<br />

Dans une approche plus dynamique, Dina R.<br />

Rose et Todd R. Clear 19 s’intéressent à la co-évolution<br />

entre la sphère sociale et la criminalité. Leur thèse repose<br />

sur le fait que les condamnés ne sont pas totalement en<br />

dehors de la commun<strong>au</strong>té mais en partie en son sein. Ils<br />

sont parents, employés, amis… Ainsi, si la mise en détention<br />

d’une faible proportion de la population ne doit pas<br />

poser de problème, le recours massif à l’incarcération est<br />

susceptible de « déstructurer » le corps social et, ainsi, de<br />

favoriser la délinquance. Les <strong>au</strong>teurs avancent à la fois l’effet<br />

sur le contrôle et sur le stigmate. L'incarcération d’un<br />

individu, motif de honte pour la famille, peut pousser<br />

cette dernière à se replier sur elle-même et à ne plus exer-

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