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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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je n'étais plus la même personne »<br />

J’ai grandi en France, ma mère est française depuis<br />

longtemps, mes frères et sœurs sont en situation<br />

régulière, deux sont même français... Moi <strong>au</strong>ssi, normalement,<br />

j’<strong>au</strong>rais dû avoir une carte d’identité française à<br />

mes 18 ans...<br />

Seulement, à 18 ans, j’étais déjà embringué dans des histoires<br />

de vol à main armée, et je me suis re<strong>trou</strong>vé en prison<br />

à 19 ans, après avoir pris cinq ans en cour d’assises.<br />

C’est à ce moment-là que j’ai eu ma première demande<br />

d’interdiction de territoire. C’était en 1988 et la double<br />

peine existait encore. Cela fait donc plus de vingt ans que<br />

je suis en situation irrégulière.<br />

[Rico se lève pour aller fermer sa fenêtre grande ouverte...]<br />

À c<strong>au</strong>se des voisins...<br />

J’ai eu be<strong>au</strong>coup de problèmes avec mes<br />

parents, qui étaient Témoins de Jéhovah. Ma mère nous a<br />

emmenés en France quand on était encore gamins. Moi,<br />

j’étais obligé de suivre son rythme. Mais, adolescent, je me<br />

suis révolté. De temps en temps, je pétais les plombs et lui<br />

faisais comprendre que je n’y croyais pas, qu’il ne fallait<br />

pas qu’elle me bourre le crâne, qu’il ne fallait pas qu’elle<br />

m’amène des « frères », des « sœurs » – ils appellent ça des<br />

« anciens » – pour régler nos affaires de famille. Je n’ai<br />

jamais connu mon père et, dès qu’il y avait un souci, elle<br />

les faisait venir à la maison pour qu’ils me parlent. Moi, je<br />

ne voulais pas que ces gens, qui n’étaient pas de notre<br />

famille, viennent chez moi !<br />

Et, à force de disjoncter, à 17 ans, je me suis barré de chez<br />

moi. Tous mes frères et sœurs étaient bien ancrés dans la<br />

religion et forcément, j’avais tout le monde contre moi.<br />

J’en avais tellement marre que, parfois, j’arrivais en retard<br />

chez moi ou alors je dormais dehors... Un jour, deux, trois,<br />

quatre...<br />

Un jour, mon frère et moi en sommes venus <strong>au</strong>x mains<br />

parce que je refusais de les suivre à la salle des Témoins. Il<br />

a voulu jouer le rôle du père que nous n’avons pas. Et ma<br />

mère m’a mis à la porte. Elle n’a pas eu besoin de me le<br />

dire deux fois.<br />

Et j’ai grandi dans la rue. J’ai traîné dehors pendant deux<br />

ans. Un jour, un pote est venu me voir et m’a dit : « Je sais<br />

que tu tiens la route. Avec d’<strong>au</strong>tres types, on braque. En ce<br />

moment, B. n’est pas là. Si tu veux, tu prends sa place. On<br />

a des armes. On va aller faire un truc qu’on a déjà préparé.<br />

Viens si tu veux ». Et je suis tombé dans le panne<strong>au</strong>. Ils<br />

avaient déjà commis plusieurs braquages et avaient la<br />

46<br />

Par Rico,<br />

ancien détenu,<br />

victime de la double peine<br />

police sur le dos. On a commis ce hold-up qui s’est mal<br />

passé... X., qui était mineur à l’époque, tenait des gens en<br />

respect et on ne sait pas comment, une balle a ricoché<br />

sous une table et a touché un des clients du magasin...<br />

Une semaine après, on s’est tous fait attraper parce qu’ils<br />

étaient déjà recherchés. On s’est re<strong>trou</strong>vé en prison, en<br />

préventive, pour vol avec armes, détention de munitions,<br />

tirs de coups de feu.<br />

Malgré tout, ma mère m’a toujours soutenu. C’est<br />

la seule sur qui j’ai toujours pu compter quelles que soient<br />

les histoires qu’on a eu ensemble et les problèmes dans<br />

lesquels je me suis fourré.<br />

Quand je me suis mis à faire des bêtises, à aller en prison,<br />

j’étais devenu le vilain petit canard de la famille. Je pense<br />

qu’elle ne devait pas crier sur les toits que j’étais en prison,<br />

surtout pour des faits <strong>au</strong>ssi graves. On avait tiré sur des<br />

gens... Et la première fois qu’elle est venue me voir en prison,<br />

elle ne pouvait pas croire que c’était moi qui avais fait<br />

ça... Je pense <strong>au</strong>ssi qu’<strong>au</strong> début, elle a mis be<strong>au</strong>coup de<br />

distance entre nous pour ne pas que les gens de sa congrégation<br />

se rendent compte, qu’en plus de les rejeter,<br />

j’étais rentré dans le milieu carcéral.<br />

Mais, <strong>au</strong> fil des années, nous nous sommes rapprochés. Et<br />

<strong>au</strong>jourd’hui, elle ne me parle plus de Témoins de Jéhovah,<br />

elle sait qu’il n’y a pas moyen de me faire changer d’avis.<br />

Le jour où je suis sorti de prison, je n’étais plus la<br />

même personne.<br />

Quand vous entrez en prison parce que vous avez un peu<br />

dérapé, vous arrivez dans un milieu que vous ne connaissez<br />

pas. Soit vous êtes faibles de caractère et vous vous<br />

faites écraser, soit vous avez du caractère et vous ne vous<br />

faites pas marcher sur les pieds. C’est une espèce de jeu<br />

qui fait que vous vous métamorphosez. Vous devenez<br />

quelqu’un d’<strong>au</strong>tre. C’est à ce prix-là que l’on conserve sa<br />

dignité en prison. Après ce passage en prison, tu connais<br />

plein de gens, des gens qui ont tué, des gens qui ont braqué,<br />

des gens qui ont volé, des terroristes... Tout ça, en<br />

deux secondes, fait de vous une <strong>au</strong>tre personne.<br />

Après cette première condamnation, j’ai enchaîné une<br />

série de bêtises et, entre 19 et 38 ans, j’ai passé ma vie en<br />

prison. En prenant 5 ans par-ci, 5 ans par-là. Ça va très vite.<br />

J’ai vogué un peu dans toutes les prisons de France...<br />

Be<strong>au</strong>coup de maisons d’arrêt et be<strong>au</strong>coup de centres de<br />

détention. J’ai fait be<strong>au</strong>coup de mitard, <strong>au</strong>ssi... On nous<br />

promettait des choses qui n’aboutissaient pas, alors on se<br />

# <strong>35</strong> MARS/AVRIL 2012 dossier « Le jour où je suis sorti de prison,

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