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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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Transformer un stigmate en objet de fierté<br />

Faire de la prison une expérience valorisante<br />

La prison n’est pas une formalité. Elle a des répercussions,<br />

bien <strong>au</strong>-delà d’une des fonctions qui lui est généralement<br />

reconnue (punir). S<strong>au</strong>f cas exceptionnel, il est très<br />

compliqué de re<strong>trou</strong>ver une vie « normale » <strong>au</strong> sortir de la<br />

prison. Il f<strong>au</strong>t se (re)construire une situation. En cas de peine<br />

longue, l’ancien détenu a souvent perdu tous ses repères. Et,<br />

quelle que soit la durée de sa peine, il est marqué <strong>au</strong> fer par<br />

l’expérience de la prison. Il lui sera plus difficile qu’à un <strong>au</strong>tre<br />

de <strong>trou</strong>ver un travail, ou de se loger.<br />

La prison est un véritable stigmate. Selon la définition<br />

d’Erving Goffman 1 , le stigmate est un « attribut qui jette<br />

un discrédit profond » sur un individu. Le stigmatisé se<br />

<strong>trou</strong>ve donc dans la « situation de l’individu que quelque<br />

chose disqualifie et empêche pleinement d’être accepté par<br />

la société ». Les difficultés après la détention sont liées à la<br />

situation défavorisée que la plupart des détenus connaissaient<br />

avant de rentrer en prison. Be<strong>au</strong>coup ont fait peu,<br />

voire <strong>au</strong>cune études, n’ont jamais eu de situation stable...<br />

Cependant, le passage en prison en tant que tel est un obstacle.<br />

Pour le contourner, les anciens détenus peuvent<br />

user de plusieurs « stratégies » (<strong>au</strong> sens de Goffman). Il peut<br />

être nécessaire de cacher son stigmate, lorsqu’on postule à<br />

un emploi par exemple. Mais cette stratégie est risquée.<br />

L’ancien détenu court toujours le risque d’être démasqué et<br />

alors « discrédité ».<br />

La stratégie la plus valorisante d’un point de vue identitaire<br />

est celle du « retournement du stigmate ». Il s’agit, pour le<br />

stigmatisé, de faire valoir ce qui est socialement réprouvé, ce<br />

qu’on peut lui reprocher. En l’occurrence, cela signifie pour<br />

l’ancien détenu de ne pas chercher à cacher son histoire<br />

mais <strong>au</strong> contraire d’en tirer une certaine fierté.<br />

Un tel retournement du stigmate peut cependant<br />

imposer une intégration dans des mondes très particuliers,<br />

<strong>au</strong> sein desquels l’inversion des valeurs est possible ; c'est par<br />

l’intégration dans ce groupe d’initiés que l’expérience de la<br />

prison prend un nouve<strong>au</strong> sens, valorisant. Il ne s’agit pas<br />

d’une expérience solitaire ; en effet, le sentiment de fierté<br />

passe notamment par le regard que les <strong>au</strong>tres portent sur<br />

l’individu. Howard S. Becker 2 explore les pratiques de certains<br />

groupes déviants, qui valorisent ce qui, ailleurs, serait considéré<br />

comme un stigmate. Il prend l’exemple des fumeurs de<br />

marijuana, mais nous pouvons appliquer son travail <strong>au</strong>x<br />

# <strong>35</strong> MMAARS//AAVRIL 2012 dossier<br />

44<br />

Par Camille Cullin, du GENEPI-Fleury-Mérogis<br />

La prison impose une forme de double peine. Il y a d’abord, évidemment, l’enfermement. Le détenu<br />

est privé de sa liberté d’aller et venir. Mais il serait trop facile de croire que la peine se limite à cette privation<br />

temporaire. L’identité sociale de l’individu en est marquée durablement. Après l’incarcération,<br />

on devient un ancien détenu.<br />

milieux délinquants. Il définit le déviant comme celui qui a<br />

transgressé une norme : cette définition, très large, s’applique<br />

donc parfaitement <strong>au</strong>x anciens détenus. La prison<br />

pose problème non pas en tant que telle, mais parce qu’elle<br />

révèle la transgression de la norme. Cela contribue cependant<br />

à couper ses membres de la société « normale », extérieure,<br />

<strong>au</strong> sein de laquelle la prison est encore considérée<br />

comme un stigmate.<br />

Le retournement du stigmate n’est pas nécessairement<br />

une volonté de l’ancien détenu. Les rencontres qu’il fait<br />

en prison ou dans son milieu (souvent défavorisé) d’origine<br />

sont déterminantes. Cette intégration n’est pas nécessairement<br />

postérieure <strong>au</strong> passage en prison. Pour certains jeunes,<br />

la plupart issus de milieux particulièrement défavorisés, la<br />

prison n’est que « l’aboutissement d’une trajectoire de<br />

galère » 3 . Gilles Chantraine nous livre ainsi le témoignage de<br />

François, un détenu : « Quand t’es mineur, que tu fais des vols<br />

à la roulotte ou un cambriolage comme ça de temps en<br />

temps, ils vont te mettre du sursis, du sursis, du sursis, mise à<br />

l’épreuve, semi-liberté, des TIG... Mais dès que t’arrive<br />

majeur, tout ton sursis mineur, il s’en va, mais ils t’ont pas<br />

oublié eux. Et là, c’est foutu. Là directement, on va en prison,<br />

en général. »<br />

La prison est une épreuve pour le jeune délinquant.<br />

Mais il ne s’agit pas d’un monde <strong>au</strong>tonome et coupé de la<br />

société. Comme le souligne Gilles Chantraine, il y a un « va-etvient<br />

incessant de part et d’<strong>au</strong>tre des murs de la prison », ce<br />

qui « permet la circulation de l’information sur les événements<br />

notables en prison comme dans le quartier, assure la<br />

continuité du trafic de drogue intra muros, permet une solidarité<br />

entre individus du même quartier ainsi qu’une protection<br />

contre les “prédateurs” et <strong>au</strong>tres sources de violence en<br />

détention. » La prison se « routinise », s’adoucit et a de moins<br />

en moins d’impact. Elle perd un peu de sa fonction dissuasive.<br />

Elle représente alors l’équivalent d’un rite initiatique<br />

qui consacre une « carrière » de déviance. L’expérience<br />

de la détention témoigne de la virilité et de l’endurance du<br />

jeune déviant.<br />

La notion de carrière est développée par Becker. Il estime<br />

qu’elle se déroule en quatre étapes fondamentales. Le<br />

déviant commence par transgresser la norme, de manière<br />

ponctuelle. Léonore Le Caisne 4 explique que « pour les gar-

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