Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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Un enfermement physique et psychologique<br />
La double peine des personnes incarcérées<br />
Lorsqu’il s’agit de maintenir les liens soci<strong>au</strong>x en détention,<br />
le premier acte doit être de garantir la liberté<br />
d’expression des personnes incarcérées. Tous les<br />
contacts avec le monde extérieur à la prison restent ainsi<br />
« indispensables pour lutter contre les effets néfastes de<br />
l’emprisonnement » 1 . L’emprisonnement, s’il demeure<br />
principalement marqué par la mission de surveillance et<br />
de sécurité, devrait assurer le maintien des liens soci<strong>au</strong>x<br />
afin d’envisager la réinsertion. Car, dès le premier jour en<br />
détention, la sortie se doit d’être préparée. Le système<br />
pénitentiaire actuel et la logique répressive l’accompagnant<br />
sont facteurs d’émiettement, de réduction voire de<br />
négation des droits des prisonniers.<br />
L’objectif de sécurité prime trop souvent<br />
sur le droit <strong>au</strong> maintien des liens<br />
soci<strong>au</strong>x de la personne incarcérée,<br />
pourtant si bénéfiques à l’exécution<br />
de la peine.<br />
Le droit et la liberté d’expression<br />
sous le poids de l’incarcération<br />
Si l’on prône <strong>au</strong>jourd’hui l’individualisation<br />
de la peine, il est évident<br />
qu’elle doit se faire en rapport<br />
avec « l’humain ». Pourtant, en France,<br />
une personne incarcérée se donne la mort tous les trois<br />
jours en moyenne ; le « nive<strong>au</strong> de suicide en prison est<br />
donc le plus élevé de l’Europe des Quinze » 2 .<br />
L’on comprend aisément que l’arrivée en prison est une<br />
fracture psychologique et sociologique grave pour un<br />
homme. Le choc carcéral peut être exacerbé par le déficit<br />
de communication des personnes incarcérées, entre elles,<br />
mais <strong>au</strong>ssi avec le monde extérieur ; la parole reste succincte<br />
et le rythme mécanique des journées en détention<br />
entraine parfois un sentiment d’infantilisation des prisonniers.<br />
À tout cela s’ajoute le sentiment d’indignité.<br />
L’Homme perd son nom, ses habitudes, son espace vital ; il<br />
devient alors un matricule, on ne lui serre pas la main... Un<br />
détenu dira même que « les prisons sont des cimetières<br />
pour les gens vivants » 3 .<br />
LE SYSTÈME PÉNITENTIAIRE ACTUEL<br />
ET LA LOGIQUE RÉPRESSIVE<br />
L’ACCOMPAGNANT SONT FACTEURS<br />
D’ÉMIETTEMENT, DE RÉDUCTION<br />
VOIRE DE NÉGATION DES DROITS<br />
DES PRISONNIERS. L’OBJECTIF DE<br />
SÉCURITÉ PRIME TROP SOUVENT SUR<br />
LE DROIT AU MAINTIEN DES LIENS<br />
SOCIAUX DE LA PERSONNE<br />
INCARCÉRÉE, POURTANT SI<br />
BÉNÉFIQUES À L’EXÉCUTION DE LA<br />
PEINE.<br />
31<br />
Par Barbara Hild, du GENEPI-La Santé<br />
« LL’’iinnjjuussttiiccee ssoocciiaallee eesstt uunnee éévviiddeennccee ssii ffaammiilliièèrree,,<br />
eellllee eesstt dd’’uunnee ccoonnssttiittuuttiioonn ssii rroobbuussttee,,<br />
qquueellllee ppaarraaîîtt ffaacciilleemmeenntt nnaattuurreellllee<br />
àà cceeuuxx mmêêmmeess qquuii eenn ssoonntt vviiccttiimmeess.. »<br />
Marcel Aymé<br />
La violence de l’enfermement n’est pas seulement celle<br />
des murs ; l’écoute des prisonniers reste rare et, la plupart<br />
du temps, inadaptée à leur détresse. « Les motifs invoqués<br />
pour les tentatives de suicide et les <strong>au</strong>tomutilations sont<br />
multiples et souvent se cumulent : la longueur de la peine,<br />
l’enfermement, l’impuissance face <strong>au</strong>x proches, le sentiment<br />
d’injustice et d’abandon, le dégoût de soi, la honte<br />
et la culpabilité » 4 .<br />
La dépersonnalisation qu’entraîne l’incarcération<br />
est un choc fort pour le prisonnier. Le seul moyen de garder<br />
sa personnalité et ses « habitudes » reste parfois de<br />
correspondre avec ses proches.<br />
La correspondance des prisonniers<br />
est lue, contrôlée, parfois arrêtée pour<br />
des motifs qui relèvent d’un droit tout<br />
à fait discrétionnaire appartenant à<br />
l’administration pénitentiaire. Le respect<br />
de la confidentialité, dans les<br />
flots de correspondance carcérale, est<br />
inexistant. Si certaines correspondances<br />
sont couvertes par le secret<br />
(avocats, <strong>au</strong>môniers...), il est évident<br />
que le droit d’expression diminue<br />
lorsque la correspondance est contrôlée<br />
et lue. Au fil du temps, les personnes<br />
incarcérées en viennent à s'<strong>au</strong>to-censurer. Le sentiment<br />
d’être épié, jugé, sévit dans l’ombre de la détention.<br />
Si le droit de retenir la correspondance d’un Homme<br />
en prison paraît être justifié pour des raisons de sécurité,<br />
les lettres sont parfois le seul lien avec l’extérieur, notamment<br />
en raison de l’éloignement géographique favorisant<br />
la perte des liens soci<strong>au</strong>x. La question est alors de savoir si<br />
l’on peut risquer d’affaiblir, une fois de plus, l’équilibre<br />
sociologique d’un homme en prison en restreignant sa<br />
liberté de correspondance ?<br />
Le passage à l’acte d’un homme résulte parfois<br />
de la perte de ce lien social, de l’inexistence d’entourage.<br />
« Pendant l’incarcération, on perd tous ses repères famili<strong>au</strong>x,<br />
tous ces liens positifs. Dans cet isolement sans dialogue,<br />
on se re<strong>trou</strong>ve très vite renfermé sur soi-même »,<br />
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