27.06.2013 Views

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

« La seule façon d’arriver à garder sa dignité,<br />

c’est de se convaincre qu’un jour, on la re<strong>trou</strong>vera »<br />

Être incarcéré, c’est humiliant, ne serait-ce que parce<br />

qu’on est en situation d’exclusion et de discrimination.<br />

On est discriminé <strong>au</strong>x yeux de la société, mis sur<br />

le côté. On ressent très fortement cette exclusion, une fois<br />

que les portes se referment derrière nous. C’est très humiliant...<br />

Sans compter les fouilles à nu, sans compter les fois<br />

où on vous laisse seul pendant trois heures dans une salle<br />

d’attente, sans compter les premières démarches médicales<br />

que l’on vous fait subir à votre entrée en prison,<br />

quand on vous rentre un coton tige de sept à huit centimètres<br />

de long dans l’urètre...<br />

Je ne vais pas dire que c’est une volonté d’humilier la personne<br />

mais cela participe d’un processus inadapté, incohérent<br />

et qui fait peur. Vous avez peur quand, <strong>au</strong> quartier<br />

arrivants, on vous pose des questions sur vos pratiques<br />

sexuelles, pour savoir si vous avez des mœurs dans la<br />

norme ou pas.<br />

Quand je suis entré en prison, en<br />

1996, je suis resté pendant une<br />

semaine dans ce quartier arrivants.<br />

Le temps qu’on observe mon profil,<br />

qu’on décide dans quelle cellule on<br />

allait me mettre, avec quel type de<br />

co-détenu, qu’on me demande si je<br />

voulais bosser, faire une formation...<br />

Et, pendant ce temps-là, on fait le<br />

tour de votre psychologie, de votre sexualité, de vos<br />

crimes, de votre mentalité, de votre personnalité. C’est<br />

une espèce de viol qu’on vous fait subir. Ajoutez à ça le fait<br />

que votre nom disparaisse <strong>au</strong> profit d’un numéro d’écrou.<br />

On sent tout de suite qu’on se rapproche de l’état animal.<br />

Cela donne le la pour la suite...<br />

Et la seule façon d’arriver à garder sa dignité,<br />

c’est d’arriver à se convaincre qu’un jour, on la re<strong>trou</strong>vera.<br />

Mais <strong>au</strong>ssi de repousser notre seuil de tolérance à l’humiliation.<br />

C’est-à-dire qu’avant de rentrer, j’étais prêt à certaines<br />

choses pour garder ma dignité et j'ai bien compris<br />

qu’en prison, il allait falloir que je repousse ce seuil de<br />

tolérance. Parce que c’était un <strong>au</strong>tre monde, avec d’<strong>au</strong>tres<br />

codes ; il allait bien falloir que je m’y plie, sans quoi ça allait<br />

être encore bien plus compliqué pour moi.<br />

La première année, j’ai fait 1<strong>35</strong> jours de mitard.<br />

Dès le premier jour, je suis allé <strong>au</strong> mitard.<br />

J’ai été en mandat de dépôt pendant trois ans. Pendant<br />

ces trois ans, je n’avais <strong>au</strong>cune perspective de sortie, je<br />

savais juste que mon chef d’inculpation allait me valoir<br />

MA VIE, C’ÉTAIT LA PRISON. ET MES<br />

INTERLOCUTEURS PRIVILÉGIÉS, LES<br />

SURVEILLANTS. J’ÉTAIS DONC FORCÉ DE<br />

LES AIMER PARCE QUE C’EST EUX QUI<br />

M’OUVRAIENT LA PORTE ET<br />

M’OFFRAIENT LE PEU DE LIBERTÉ QUE JE<br />

POUVAIS TROUVER.<br />

39<br />

Par Karim Mokhtari,<br />

ancien détenu,<br />

« cciittooyyeenn aaccttiiff eett rreessppoonnssaabbllee »<br />

vingt ans, alors que je n’avais pas moi-même vingt ans !<br />

En plus, je n’étais pas assisté : ni mandat, ni parloir. Ma vie,<br />

c’était la prison. Et mes interlocuteurs privilégiés, les surveillants.<br />

J’étais donc forcé de les aimer parce que c’est<br />

eux qui m’ouvraient la porte et m’offraient le peu de<br />

liberté que je pouvais <strong>trou</strong>ver : aller chercher un se<strong>au</strong><br />

d’e<strong>au</strong> ch<strong>au</strong>de, profiter d’un petit moment pour aller à<br />

l’œilleton d’une <strong>au</strong>tre cellule demander une feuille à rouler<br />

ou un peu de tabac.<br />

De les aimer, par force... Parce que si on ne les aime pas, et<br />

qu’on leur fait ressentir, on ne bouge pas de la cellule,<br />

22h/24. Et en plus, on peut s’attendre, une fois de temps<br />

en temps, à un petit guet-apens.<br />

Mais, en même temps, on leur en veut à mort parce qu’ils<br />

nous enferment tous les jours et qu’ils brident notre<br />

liberté. Il y a un juste milieu, une sorte de manipulation ;<br />

on leur montre le visage qu’ils ont<br />

besoin de voir, on leur donne ce<br />

dont ils ont besoin, tout en profitant<br />

de ce qu’ils peuvent faire pour nous,<br />

en les envoyant à droite à g<strong>au</strong>che<br />

chercher des trucs...<br />

Pour moi, la pénitentiaire a<br />

deux missions principales : mettre<br />

les gens les plus dangereux à l’écart<br />

de notre société, et ça, ils savent très bien le faire – je crois<br />

même que c’est le cœur de leur métier. La deuxième<br />

chose, c’est de favoriser la réinsertion de ces gens. Pour ça,<br />

je pense que la pénitentiaire, et notamment le surveillant,<br />

qui est en bout de chaîne, ne sont pas du tout équipés, pas<br />

du tout motivés. Ils suivent une politique pénale qui les<br />

oriente ailleurs.<br />

Comme j’ai passé un certain temps en prison, j’ai rencontré<br />

des surveillants qui étaient pleins de bonnes intentions<br />

<strong>au</strong> début, mais qui ont ensuite fini par se ranger du<br />

côté de leur corporation, pour ne pas avoir à subir de<br />

conflits avec leurs collègues ou leur hiérarchie.<br />

Mais j’ai pu <strong>au</strong>ssi entretenir de très bonnes relations avec<br />

certains surveillants. Je connaissais le planning des surveillants<br />

sur le mois. Parfois, c’était même eux qui me<br />

demandaient quand est-ce qu’ils bossaient ! J’avais<br />

besoin de savoir quel surveillant serait à mon étage, tel<br />

jour, à telle heure. Pour me projeter, puisque ma vie était<br />

là-bas...<br />

Je me souviens d’un surveillant qui m’a demandé s’il pouvait<br />

regarder la Formule 1 dans ma cellule pendant que<br />

j’allais en promenade. J’ai accepté, à condition qu’il me<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMAARRSS//AVVRRIILL 2201122

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!