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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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«Le GENEPI rappelle que son<br />

devoir de témoignage s’accompagne<br />

du souci de la plus<br />

grande honnêteté. » Ces mots, tous<br />

les Génépistes les ont lus et les ont<br />

signés lorsqu’ils ont adhéré à la<br />

charte du GENEPI. Mais dans notre<br />

pratique, qu’en faisons nous ?<br />

Témoignons-nous vraiment d’une<br />

réalité ? Et si oui, laquelle ? Celui qui<br />

prétend qu’il peut témoigner des<br />

conditions de détention parce qu’il<br />

a, une après-midi par semaine,<br />

animé un atelier en détention, celuilà<br />

se trompe. Nous ne pouvons dire<br />

ce que cela fait d’être enfermé,<br />

d’être privé de sa liberté d’aller et<br />

venir. Nous ne savons pas ce que<br />

cela signifie de se re<strong>trou</strong>ver face à<br />

soi même dans 9m 2 , nous ne savons<br />

pas ce que cela fait de voir sa famille<br />

dans un parloir, de se re<strong>trou</strong>ver nu<br />

devant un surveillant et ses gants de<br />

latex. De quoi pouvons-nous témoigner<br />

alors ?<br />

A minima, nous pouvons témoigner<br />

de leur existence, et rappeler à la<br />

société qu’ils sont là, que les murs ne<br />

les ont pas annihilés. Nous ne voulons<br />

pas parler à leur place, et remplacer<br />

des murs par des mots.<br />

Avec ce numéro, nous<br />

<strong>au</strong>rions aimé nous effacer pour laisser<br />

la parole à ceux qui portent réellement<br />

le poids de la prison sur leur<br />

humanité. Nous voulions questionner<br />

les répercussions sur l’intime et<br />

sur l’appréciation de soi c<strong>au</strong>sées par<br />

l’enfermement, parfois par la culpabilité,<br />

et il nous semblait inapproprié<br />

de parler de ce qui constitue<br />

l’identité d’un <strong>au</strong>tre.<br />

Cette ambition a cependant été<br />

rapidement contrariée par des barrières<br />

administratives et pratiques.<br />

Le contrôle que l’administration<br />

pénitentiaire a sur les écrits qui sor-<br />

Derrière les murs, des hommes<br />

tent de détention empêchait une<br />

libre parole, outre les procédures<br />

d’<strong>au</strong>torisation pour publication.<br />

Cependant, renoncer à un sujet pour<br />

des raisons d’<strong>au</strong>torisations <strong>au</strong>rait été<br />

trahir ceux à qui nous voulions donner<br />

la parole. Plus, cela <strong>au</strong>rait été se<br />

soumettre à une forme de censure<br />

silencieuse pour se plier <strong>au</strong>x lois de<br />

l’administration pénitentiaire. Pour<br />

contourner ces difficultés, nous<br />

avons demandé à des anciens détenus<br />

de parler de leur vécu, et de ce<br />

qui pour eux avait porté atteinte à<br />

leur dignité, avait été vécu comme<br />

une honte ou une humiliation.<br />

À partir de là, comment<br />

choisir ? Comment déterminer ce<br />

qui touche à l’intégrité de la personne<br />

et ce qui est acceptable ?<br />

Nous ne sommes pas les premiers à<br />

nous poser la question. La convention<br />

de s<strong>au</strong>vegarde des droits de<br />

l’Homme et des libertés fondamentales,<br />

dont la France est signataire,<br />

précise dès l’article 3 que « Nul ne<br />

peut être soumis à la torture ni à des<br />

peines ou traitements inhumains ou<br />

dégradants ». Mais dans la pratique<br />

de la Cour européenne des droits de<br />

l’Homme (CEDH), il y a une tension<br />

entre ce droit accordé à tout<br />

homme et la punition infligée en cas<br />

de non-respect de la loi. Ainsi, « la<br />

Cour considère que toute punition<br />

contient un élément inhérent d’humiliation<br />

; l’humiliation en soi ne suffit<br />

donc pas pour reconnaître une<br />

violation de l’article 3. Cependant, la<br />

Cour n’a jamais défini ce qu’est<br />

“l’humiliation normale” inhérente à<br />

toute punition. Il f<strong>au</strong>t donc analyser<br />

<strong>au</strong> cas par cas la jurisprudence pour<br />

en déduire ce que la Cour considère<br />

comme une humiliation suffisamment<br />

grave pour constituer une vio-<br />

03<br />

édito<br />

Par Camille Varin,<br />

déléguée régionale du GENEPI-PACA-Corse<br />

lation de l’article 3 », rappelle Sonja<br />

Snacken dans Prisons en Europe.<br />

En réalité, il n’y a pas de définition<br />

possible qui satisfasse tout le<br />

monde. Laisser chacun définir ce qui<br />

l’a touché, choisir ses mots, c’est le<br />

choix qui a été fait dans ce numéro<br />

pour donner vie à l’intime.<br />

Laisser de la place pour des<br />

témoignages est cependant insuffisant<br />

pour donner corps à un<br />

concept. Honte, humiliation, dignité<br />

sont des réalités personnelles, des<br />

points de vue, des combats à mener<br />

avec soi-même. Chacun écrit pour<br />

lui-même, que ce soit pour se<br />

reconstruire, donner la preuve de sa<br />

réinsertion, se rassurer, pour dénoncer...<br />

Il s’agit d’essayer de faire comprendre<br />

une réalité qu’on pense<br />

mieux saisir dès lors qu’elle a été<br />

vécue. Pour <strong>au</strong>tant, le vécu personnel<br />

ne permet pas de parler pour les<br />

<strong>au</strong>tres et de se faire porte-parole de<br />

tous. Derrières les murs des prisons,<br />

il y a <strong>au</strong>ssi une foule silencieuse qui<br />

va taire son histoire et son mal-être<br />

et qui, une fois dehors, ne voudra<br />

pas revenir sur ce passé. Nul ne peut<br />

parler pour eux et dire ce qu’ils ont<br />

ressenti, s’ils ont été humiliés, sans<br />

prendre le risque de les déshumaniser<br />

encore une fois en leur ôtant le<br />

droit de se taire.<br />

Le dossier de ce mois-ci<br />

regroupe des témoignages, accompagnés<br />

d’une littérature plus scientifique<br />

et plus froide du problème.<br />

Cette superposition des registres<br />

permet d’élargir le regard <strong>au</strong> maximum,<br />

sans avoir la prétention de<br />

tout dire. Les non-dits qui se dessinent<br />

en creux sont peut-être ceux<br />

qui sont le mieux à même de décrire<br />

la manière dont la machine carcérale<br />

peut briser un homme.<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMAARRSS/AVVRRIILL 2201122

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