Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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La discrimination à l’encontre<br />
des personnes détenues<br />
Origines et effets de la stigmatisation<br />
Le stigmate à l’encontre des délinquants ou des criminels<br />
a donc longtemps été pensé comme une composante<br />
utile du contrôle social, une puissante incitation<br />
à la conformité évitant le déploiement d’un contrôle<br />
policier généralisé. Les dernières décennies ont cependant<br />
apporté une dimension supplémentaire <strong>au</strong>x effets<br />
du stigmate à l’encontre des contrevenants à la loi. Entre<br />
le début des années 1970 et les années 2000, la population<br />
carcérales des États-Unis a été multipliée par sept<br />
pour atteindre environ deux millions de détenus 1 . Les<br />
peines à durée indéterminées, largement discriminatoires<br />
mais induisant une sortie en libération conditionnelle, et<br />
donc un accompagnement, ont été abandonnées progressivement<br />
2 . Depuis le début des années 2000, quelques<br />
600 000 personnes sortent des prisons américaines,<br />
la plupart en « sortie sèche », et la question de la gestion<br />
du stigmate s’est imposée tant dans la sphère politique<br />
qu’<strong>au</strong> sein des milieux universitaires. L’objectif de cet article<br />
est de présenter quelques trav<strong>au</strong>x de recherche en<br />
économie 3 de la criminalité sur les origines et les effets de<br />
la stigmatisation à l’encontre des condamnés.<br />
D’un point de vue théorique, la notion courante<br />
de stigmate carcéral peut avoir deux origines assez différentes.<br />
Couramment, on utilise les termes de « stigmatisation<br />
» ou de « discrimination » pour désigner le traitement<br />
défavorable d’une catégorie de la population. Si le premier<br />
terme renvoie plutôt à l’action de marquer des individus<br />
et le second <strong>au</strong> comportement de la sphère sociale<br />
en réaction de ce marquage, les deux termes seront ici<br />
confondus.<br />
Cet effet est en général mesuré sur le marché de l’emploi,<br />
pour des questions d’accessibilité <strong>au</strong>x données, mais<br />
comprend également la difficulté à construire des liens de<br />
confiance, d’amitié, ou des relations amoureuses… Il est le<br />
plus souvent utilisé pour décrire la situation des minorités<br />
« ethniques » ou sexuelles. Le stigmate repose sur deux<br />
fondements non exclusifs l’un de l’<strong>au</strong>tre : l’information<br />
donnée sur les caractéristiques cachées de celui qui le<br />
subit et le rejet moral 4 .<br />
Par Arn<strong>au</strong>d Philippe,<br />
ancien président du GENEPI,<br />
doctorant à l’Université paris I,<br />
hébergé par le laboratoire du CREST<br />
(Centre de Recherche en Économie et STatistique dépendant de l’INSEE)<br />
Dans une société où la loi est conçue comme l’émanation du peuple, et donc l’expression<br />
de la volonté générale, la stigmatisation de ceux qui la violent, leur mise à l’écart<br />
du corps social n’est pas un phénomène surprenant. Si un groupe s’accorde à définir<br />
ce qu’il convient de faire ou les règles que tous doivent respecter, celui qui ne se plie<br />
pas à ces recommandations, même en l’absence de tout châtiment, sera vu comme<br />
n’appartenant plus <strong>au</strong> groupe et ce, quelles que soient les origines de ses actes : incapacité<br />
physique ou intellectuelle, sentiment de supériorité…<br />
79<br />
Le premier cas peut s’illustrer avec l’exemple du<br />
marché du travail. Si un employeur cherche à recruter une<br />
personne, il va se baser sur les informations à sa disposition<br />
pour déterminer qui correspond le mieux <strong>au</strong> poste.<br />
Celles-ci comprennent sa formation, son expérience professionnelle…<br />
Il ne pourra jamais savoir parfaitement<br />
quel est le caractère des candidats et un certain nombre<br />
de paramètres susceptibles de l’intéresser sont inobservables<br />
(le respect de la hiérarchie, la bonne humeur…). Le<br />
passage en prison, s’il est connu du recruteur, peut être<br />
jugé comme révélateur du faible respect de la norme,<br />
d’une difficulté à contrôler ses nerfs ou d’une faible honnêteté.<br />
Dans ce cas, sans que l’employeur fasse preuve<br />
d’une aversion particulière à l’encontre des personnes<br />
sortant de prison, on constatera un traitement défavorable<br />
de leurs dossiers 5 .<br />
La seconde origine de la stigmatisation provient<br />
plus simplement d’un rejet moral d’une partie de la population,<br />
<strong>au</strong> même titre que la discrimination à l’encontre<br />
des noirs ou des homosexuels. Dans ce cas, la discrimination<br />
sera une position de principe sans être basée sur la<br />
conviction qu’une personne sortant de prison ferait un<br />
plus m<strong>au</strong>vais employé.<br />
Quel que soit son origine, la stigmatisation<br />
exerce théoriquement un effet dissuasif <strong>au</strong> sein d’un<br />
groupe. La mise <strong>au</strong> ban de la société présente un coût susceptible<br />
d’effacer l’avantage que l’on pourrait retirer d’un<br />
comportement contraire à la loi. La rationalité du rejet ou<br />
sa véracité n’a pas spécialement d’importance : si les personnes<br />
sortant de prison font le travail <strong>au</strong>ssi bien que les<br />
<strong>au</strong>tres, le simple fait que les employeurs pensent, à tort,<br />
que ce n’est pas le cas, créera un désavantage les dissuadant<br />
de violer la loi. Cependant, pour que la dissuasion<br />
soit opérante, il est nécessaire : d’une part, que le statut<br />
(condamné ou non, délinquant ou non…) soit observable<br />
et, d’<strong>au</strong>tre part, que le coût soit réel. C’est une des raisons<br />
pour lesquelles, selon Nagin 6 , ce mécanisme est plus efficace<br />
pour limiter la fr<strong>au</strong>de dans une association que chez<br />
un particulier (plus de personnes observent) ou la délin-<br />
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