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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# <strong>35</strong> MMAARS/AVRIL 2012<br />

dossier<br />

Le sentiment de honte<br />

lié à la mise <strong>au</strong> ban de la société<br />

L’utilisation du terme « honte » est banalisée dans des<br />

situations diverses ; ainsi, récemment, il a été question<br />

du dixième anniversaire, le 10 janvier 2012, du camp<br />

illégal de Guantamo, baptisé « prison de la honte » par la<br />

presse. Or, la honte est un phénomène complexe, qui,<br />

selon le schéma sartrien, nous inscrit dans « l’objectivation<br />

de la subjectivité et de la subjectivation de l’objectivité » 1 .<br />

La honte est une confrontation. Entre <strong>au</strong>trui et moi. Cette<br />

confrontation me fait prendre conscience de mon acte ;<br />

ainsi, selon Sartre ce sont mes actes qui définissent mon<br />

être et non l’inverse.<br />

Cet éclairage sartrien sur le sentiment de honte<br />

permet de déconstruire, et d’envisager sous un <strong>au</strong>tre<br />

angle, le rôle social de la prison. Les personnes enfermées<br />

en ce lieu sont celles qui ont transgressé la norme. Or la<br />

norme est une notion toute relative, et donc fragile. Il s’agit<br />

donc de protéger ce qui est reconnu comme la norme à un<br />

certain moment, dans un certain espace. Si de multiples<br />

facteurs peuvent expliquer l’acte déviant et donc « gommer<br />

» la responsabilité de celui qui l’a commis, la honte<br />

permet de rétablir cette responsabilité et donc de préserver<br />

l’ordre social un instant menacé.<br />

Avant même de retenir la responsabilité ou non de l’acteur,<br />

le regard de la société pèsera déjà sur ce dernier.<br />

L'exemple le plus frappant en est certainement la détention<br />

provisoire où le détenu, présumé innocent, est déjà<br />

marqué <strong>au</strong> fer rouge.<br />

Aujourd’hui, la trace indélébile du fer, c’est la prison. La prison<br />

stigmatise ; or, un stigmate, selon Erving Goffman, est<br />

un discrédit, il n’existe pas en soi mais naît de relations<br />

entre les attributs personnels et les stéréotypes. Ainsi, l’incarcération<br />

présente ou passée figure parmi les stigmates<br />

visibles dans la société 2 . Le stigmate se distingue du « normal<br />

» qui répond à l’application de normes imposées.<br />

La honte du détenu participe donc à son <strong>au</strong>tocondamnation<br />

de manière plus ancrée que la sanction<br />

pénale car elle invite <strong>au</strong> repli sur soi et ne permet pas de<br />

réfléchir <strong>au</strong>x c<strong>au</strong>ses de son incarcération.<br />

26<br />

Par L<strong>au</strong>ra Monnier,<br />

élève-avocate à l’École du Barre<strong>au</strong> de Paris<br />

et Sarah Bretesché,<br />

secrétaire nationale du GENEPI<br />

« AAuuttrruuii eesstt llee mmééddiiaatteeuurr iinnddiissppeennssaabbllee<br />

eennttrree mmooii eett mmooii--mmêêmmee,,<br />

jj''aaii hhoonnttee ddee mmooii tteell qquuee<br />

jj’’aappppaarraaiiss àà a<strong>au</strong>uttrruuii.. »<br />

Jean-P<strong>au</strong>l Sartre,<br />

LL’’ÊÊttrree eett llee nnééaanntt, 1943<br />

Il s’agit donc de s’interroger sur ce phénomène :<br />

l’utilisation de la honte comme punition, un outil <strong>au</strong>ssi<br />

vieux que le monde. La punition permet, en effet, soit de<br />

réparer par une prise de conscience, soit d’exclure, d’ostraciser.<br />

Lorsqu’elle assume ce second rôle, elle est alors révélatrice<br />

de la crainte de la société quant à sa propre fin, et la<br />

seule protection efficace est donc de cacher la déviance.<br />

Mieux, c’est à la source qu’il f<strong>au</strong>t protéger la société d’un<br />

risque de bouleversement de la norme, et c’est bien souvent<br />

les catégories jugées les plus fragiles socialement qui<br />

se re<strong>trou</strong>vent <strong>au</strong> cœur du système répressif.<br />

L’efficacité du dispositif punitif tient <strong>au</strong>ssi à sa<br />

visibilité dans la société 3 . Friedrich Nietzche soulignait<br />

ainsi : « Le sens du châtiment n’est pas d’inspirer l’effroi<br />

mais de rabaisser quelqu’un dans l’ordre social. » Ceux qui<br />

sont considérés comme déviants du fait de leurs actes doivent<br />

alors être marginalisés, de nouve<strong>au</strong> pour protéger le<br />

corps social.<br />

Ainsi, selon Gilles Chantraine, « les conditions d’accès à la<br />

prison, pilier de notre système pénal, sont profondément<br />

inégalitaires – l’affirmation de l’égalité de tous devant la<br />

prison relevant du mythe judiciaire » <strong>au</strong>quel participe la<br />

fiction démocratique du caractère universaliste des droits<br />

de l’Homme. Ainsi, le même <strong>au</strong>teur soulève qu’ « <strong>au</strong>-delà<br />

de la nature spécifique de l’infraction et son contexte, les<br />

caractéristiques socio-économiques des détenus doivent<br />

être appréhendées comme des facteurs de passage d’un<br />

maillon à l’<strong>au</strong>tre de la chaîne pénale, aboutissant finalement<br />

à une mise sous écrou » 4 .<br />

« Les manières de vivre les périodes pré-carcérales,<br />

carcérales et post-carcérales » 5 sont de façon générale<br />

empreintes d’un sentiment « d’engrenage de “l’inutile<br />

<strong>au</strong> monde contemporain 6 ” ». Selon Pierre Bourdieu 7 , notre<br />

biographie est le produit du double mouvement de l’action<br />

sociale des individus et du déterminisme social des<br />

structures. Ce dernier pèse d’un tel poids que les individus<br />

intériorisent la nécessité de leur exclusion et ne requestionnent<br />

plus la norme. Par la honte de leurs actions et der-

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