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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# <strong>35</strong> MMARS/AVRIL 2012<br />

dossier<br />

J’ai grandi en Normandie, dans une petite ville. Dans<br />

les années 1990, j’ai été condamné, quasiment sans<br />

qu’il y ait eu d’enquête, à quatre ans de prison pour<br />

trafic de stupéfiant. Je fumais et je n’avais fait que<br />

« dépanner » des amis, comme ils le faisaient <strong>au</strong>ssi. Je<br />

n’avais ni argent, ni cannabis quand je me suis fait<br />

attrapé ; mon sentiment a été que j’étais l’arabe à qui on<br />

a tout mis sur le dos. Du coup, je ne me sentais pas vraiment<br />

coupable, et j’ai surtout ressenti de la haine. La justice<br />

ne m’a pas fait de cade<strong>au</strong>. Jamais ils ne m’ont donné<br />

mon droit.<br />

Pour les gamins des quartiers, la prison est parfois<br />

considérée comme un gage de dureté, et ça peut être<br />

une fierté. Mais pour moi, la prison n’a jamais été une référence.<br />

Je n’ai jamais été fier d’avoir fait de la prison.<br />

Je n’ai pas eu à annoncer à ma famille que j’allais<br />

être incarcéré car ils étaient présents <strong>au</strong> moment de la<br />

condamnation.<br />

Il f<strong>au</strong>t savoir que la famille <strong>au</strong>ssi est en prison avec vous :<br />

ils viennent <strong>au</strong>x parloirs, envoient de l’argent... Sans ma<br />

famille, ça n’<strong>au</strong>rait pas été pareil, je me suis senti vraiment<br />

soutenu.<br />

Pourtant, pour mon père, ma mère, ça a été très difficile. À<br />

chaque fois qu’ils venaient me voir <strong>au</strong> parloir, je gardais la<br />

tête baissée, je n’étais pas fier. Même si j’essayais de leur<br />

faire voir que ça allait, pour ne pas les inquiéter. Mais<br />

j’avais honte.<br />

Heureusement, mes parents avaient compris que tout ça<br />

était un peu injuste...<br />

J’ai une fille <strong>au</strong>ssi, née en 1994, mais sa mère ne<br />

voulait pas me l’amener en prison. Je ne l’ai pas vue pendant<br />

longtemps. Et je suis encore en train de le payer... Ma<br />

fille ne veut pas me voir, elle ne comprend pas mon<br />

absence.<br />

À mon arrivée en prison, j’ai tout de suite eu le<br />

sentiment que tous les détenus n’étaient pas traités de la<br />

même façon. Les étrangers, notamment, subissent une<br />

vraie discrimination. Par exemple, quand je suis arrivé <strong>au</strong><br />

centre de détention de Tarascon, les détenus étaient<br />

« rangés » en cellule selon leur origine. Les maghrébins<br />

d’un côté, les noirs de l’<strong>au</strong>tre, et enfin, les Français.<br />

Je me souviendrais toute ma vie du choc que j’ai éprouvé<br />

à mon arrivée... Pendant une quinzaine de jours, les nouve<strong>au</strong>x<br />

arrivants sont dans des cellules spéciales, le temps<br />

qu’ils nous observent, nous étudient. Au bout de cette<br />

période d’observation, quand il nous a fallu intégrer la<br />

« Comme si ma parole avait moins<br />

de valeur qu'une <strong>au</strong>tre... »<br />

76<br />

Par Larbi,<br />

ancien détenu,<br />

ancien retenu<br />

détention proprement dite, les surveillants ont ouvert<br />

toutes les cellules arrivants et nous ont demandé de nous<br />

séparer en deux groupes : « les étrangers et d’origine<br />

étrangère d’un côté et les Français de l’<strong>au</strong>tre ». Les<br />

Français d’origine étrangère n’étaient donc pas considérés<br />

comme des Français, s<strong>au</strong>f les européens. Moi, je n’avais<br />

pas la nationalité française, mais même si j’avais été français,<br />

j’<strong>au</strong>rais quand même été catalogué comme un étranger.<br />

Les surveillants nous triaient. Au faciès. Et on partait<br />

en file dans le couloir, comme si on allait se faire fusiller.<br />

À la maison d’arrêt de la Santé <strong>au</strong>ssi, ça se passait comme<br />

ça. Un bâtiment pour les immigrés, un <strong>au</strong>tre pour les<br />

Français. Le leur était bien plus propre, avec un accès illimité<br />

<strong>au</strong>x douches. Alors que nous n’avions droit qu’à<br />

deux douches par semaine... De la même façon, quand il y<br />

avait un problème entre maghrébins, ils se démerdaient !<br />

Ils les laissaient régler leur compte entre eux, que ce soit<br />

à coups de coute<strong>au</strong> ou de lame de rasoir. En les rassemblant<br />

ainsi, ils en avaient moins à faire puisque les détenus<br />

se géraient entre eux.<br />

Pour moi, c’était clairement du racisme de la part de l’administration<br />

pénitentiaire. Une fois, j’ai eu une altercation<br />

avec un surveillant parce que je voulais, pendant le Ramadan,<br />

partager un peu de nourriture avec un <strong>au</strong>tre détenu.<br />

Il m’a collé un rapport pour « trafic de nourriture ». Au prétoire,<br />

pour plaisanter, j’ai dit que j’avais vu un français le<br />

faire et que... La juge m’a répondu : « Ah bon ? Il y a des<br />

français en prison ? » Qu’est-ce que vous voulez répondre<br />

à ça ?<br />

Une <strong>au</strong>tre fois, <strong>au</strong> parloir, mon frère, qui est musulman,<br />

avec la barbe et tout, s’est fait surnommé « le barbu » par<br />

un surveillant. J’ai préféré dire à mon frère de ne plus<br />

venir. Lui qui fait des kilomètres pour venir me voir deux<br />

fois par semaine n’a pas à être humilié ainsi !<br />

À Tarascon, dans la détention, il y avait trois bâtiments<br />

: A, B et C. Le bâtiment C était réservé <strong>au</strong>x clandestins,<br />

<strong>au</strong>x sans-papiers. Le bâtiment B <strong>au</strong>x jeunes voyous,<br />

<strong>au</strong>x petits récidivistes, le plus souvent maghrébins. Le<br />

bâtiment A <strong>au</strong>x Corses, <strong>au</strong>x gens « du grand banditisme ».<br />

La surveillance était plus stricte dans les bâtiments B et C.<br />

Tandis qu’<strong>au</strong> bâtiment A, il y avait be<strong>au</strong>coup plus de privilèges<br />

: un accès libre à la salle de sport, <strong>au</strong> stade... Certains<br />

avaient de l’alcool en cellule. Du whisky, des téléphones<br />

portables, du champagne le jour de l’an. Même des cigarettes<br />

qu’il n’y avait pas sur le bon de cantine !<br />

Je crois que les surveillants avaient plus de respect<br />

pour ces grands bandits, qui étaient censés être plus

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