Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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DDRR CClléément Bernis<br />
Cette renaissance est extrêmement compliquée ; si on ne<br />
s’est pas demandé ce qui nous a amené en prison dans<br />
notre première vie, on est perdu dans cette seconde vie.<br />
Pour moi, c’est assez particulier. Dès que je suis<br />
sorti, je suis tout de suite rentré dans une structure associative<br />
à destination humanitaire. De mes 9m 2 , le monde<br />
s’est ouvert complètement devant moi. En plus, j’étais<br />
dans une association de solidarité, on allait faire des chantiers<br />
internation<strong>au</strong>x, humanitaires, dans lesquels j'étais<br />
chef de chantier. C’était une activité valorisante ; malgré<br />
mes difficultés, je venais en aide à des populations encore<br />
plus en proie <strong>au</strong>x difficultés que moi – qui, pour <strong>au</strong>tant, ne<br />
se plaignaient pas de leurs propres conditions parce<br />
qu’elles n’avaient <strong>au</strong>cun comparatif.<br />
Cette activité m’a donc aidée à relativiser ma propre situation<br />
et à me dire que d’<strong>au</strong>tres personnes souffraient encore<br />
davantage. La seule chance qu’elles avaient, c’était de<br />
ne pas en avoir conscience.<br />
Ainsi, tout a tourné <strong>au</strong>tour de mon programme de réinsertion,<br />
dont j’étais l’acteur, de l’intérieur déjà. Parce que c’est<br />
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essentiel : la réinsertion ne commence pas le jour de<br />
la sortie de prison. Et pour ça, il f<strong>au</strong>t à la fois se poser<br />
les bonnes questions, et à la fois que la pénitentiaire<br />
nous donne les moyens d’y répondre, <strong>au</strong>trement<br />
qu’en nous enfermant.<br />
Mais peu d’entre nous étaient capables de se poser<br />
ces questions. Un sur mille, peut-être ! Et j’ai bien<br />
compris que je faisais partie de ceux qui ne resteraient<br />
pas sur le carre<strong>au</strong>. Mon combat quotidien est<br />
d’ailleurs <strong>au</strong>jourd’hui d’essayer d’inverser cette tendance.<br />
Deux jours par semaine, je suis à l’agence du service<br />
civique, à réfléchir à un service civique pour tous les<br />
jeunes de France. Aujourd’hui, mon passé est derrière<br />
moi, mais il légitimise la place que j’ai envie de<br />
prendre dans la société. C’est bien là la preuve de ma<br />
réinsertion : les responsabilités que l’on me donne<br />
sur d’<strong>au</strong>tres jeunes, qui sont en devenir, et donc fragiles.<br />
Qu’on ose me mettre, moi, en contact avec ces<br />
jeunes-là, qu’on ose me voir comme une plus-value<br />
dans leur parcours, c’est en soi une preuve de réinsertion<br />
totale.<br />
Aujourd’hui, j’aide des gens à se réinsérer. J’ai donc<br />
complètement inversé la tendance. Et si je suis<br />
devenu un acteur de la citoyenneté et de la solidarité,<br />
c’est bel et bien parce que la réinsertion est possible,<br />
je le confirme. En dépit de la pénitentiaire. Je<br />
n’ose pas espérer comment les choses pourraient<br />
évoluer si la pénitentiaire était avec nous !<br />
Aujourd’hui, je pense que je suis définitivement<br />
sorti de la culpabilité... Pour ça, j’ai dû élever mon t<strong>au</strong>x de<br />
loy<strong>au</strong>té, notamment à l’égard des gens qui m’ont donné la<br />
main pour m’aider à sortir. Je me suis sentis tellement<br />
redevable ! Comme s’ils m'avaient s<strong>au</strong>vé la vie.<br />
Ceux qui ne savent pas se poser les bonnes questions<br />
sont sortis comme des fantômes errants dans notre<br />
société, sans identité, à subir la vie qu’ils mènent. Je suis<br />
sûr que si on leur demande, ils préfèreraient être de nouve<strong>au</strong><br />
en prison, où, <strong>au</strong> moins, ils existaient, ne serait-ce<br />
qu’à travers un numéro. Quelqu’un venait les voir, leur<br />
donner à manger, ou même leur refuser quelque chose.<br />
Aujourd’hui, ils sont en errance totale et il leur suffit de fermer<br />
les yeux pour être de nouve<strong>au</strong> dans leur cellule.<br />
Moi <strong>au</strong>ssi, et cela fait pourtant dix ans que je suis sorti,<br />
encore <strong>au</strong>jourd’hui, un bruit de clés, une odeur suffisent à<br />
me ramener là-bas. C’est quelque chose qui vous marque<br />
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