Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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# <strong>35</strong> MAARS/AVRIL 2012<br />
dossier<br />
JJeaann--Maarrcc MMahhy daanss UUnn hhoommmmee ddeebboouutt<br />
tion de la fouille corporelle n’y échappe pas. Ainsi<br />
témoigne-t-il : « La première année, ils vont faire ça cinq<br />
fois par jour. Cinq fois, ils vont rentrer dans ma cellule.<br />
Cinq fois, je vais devoir écarter les jambes. Cinq fois, je<br />
vais devoir me déshabiller. Cinq fois, ils vont tout jeter par<br />
terre dans ma cellule ... » Il poursuit : « Cette fouille-là ne<br />
sert à rien sinon à humilier le détenu, le casser… Dans le<br />
bloc E, les détenus sont considérés comme des f<strong>au</strong>ves<br />
qu’il f<strong>au</strong>t mater. La fameuse maxime du lion et du mouton<br />
inscrite sur le mur… » Entrée comme un lion dans<br />
l’univers carcéral, la personne détenue semble condamnée<br />
à en sortir tel un mouton.<br />
Honte et humiliation se déclinent alors en une perte de<br />
dignité. La notion de dignité humaine renvoie à une qualité<br />
liée à l’essence même de chaque homme, nécessairement<br />
identique pour tous et sans degré possible. Le philosophe<br />
français P<strong>au</strong>l Ricœur y voyait le reflet de l’idée<br />
selon laquelle « quelque chose est dû à l’être humain du<br />
fait qu’il est humain » 5 . Plus encore, il semble que le caractère<br />
gratuit, <strong>au</strong>jourd’hui grandement discuté par les institutions<br />
politico-juridiques, de certaines, voire de la majorité<br />
de ces fouilles, confère à l’humiliation qui s’ensuit sa<br />
dimension inhumaine. Si la Cour européenne des droits<br />
de l’Homme (CEDH) ne prohibe pas le principe des<br />
fouilles qui « peuvent se révéler nécessaires pour assurer<br />
la sécurité dans une prison, défendre l’ordre ou prévenir<br />
les infractions pénales » 6 , elle exerce néanmoins un<br />
contrôle que le rapport d’activité du Contrôleur général<br />
des lieux de privations de liberté de 2011 résume en ces<br />
termes : la CEDH « vérifie si les modalités en pratique ne<br />
révèlent pas un traitement dégradant, <strong>au</strong>trement dit si<br />
elles ne font pas naître un sentiment d’humiliation, d’angoisse<br />
et d’infériorité chez la personne <strong>au</strong>xquelles elles<br />
sont appliquées ». Cependant, la dernière circulaire d’avril<br />
2011, relative <strong>au</strong>x moyens de contrôle des personnes<br />
détenues, exclut la pratique évoquée par la circulaire de<br />
1986, laquelle inclut une obligation de « se pencher tout<br />
nu et de tousser afin de provoquer la libération du<br />
sphincter, visant à découvrir d’éventuels objets introduit<br />
dans l’anus ». La systématisation de la fouille <strong>au</strong> corps est<br />
désormais interdite. Cette circulaire fait suite à trois<br />
condamnations de la France entre 2007 et 2011 par la<br />
CEDH pour « traitements inhumains ou dégradants ».<br />
Reste à savoir ce que cela donnera en pratique.<br />
Cette honte dont Jean-Marc Mahy témoigne est<br />
58<br />
sans commune mesure avec la démarche punitive apparemment<br />
« humiliante » qui marque l’enfance de Jean-<br />
Pierre Malmendier. Passionné par le tir à la carabine et<br />
« vite lassé par les cibles statiques », l’enfant qu’était alors<br />
Jean-Pierre Malmendier tire sur « la fesse g<strong>au</strong>che » d’un<br />
camarade. L’excuse et l’ « apurement de la dette » par le<br />
travail sont à l’époque vécus par lui comme une honte<br />
puis perçus finalement comme juste et constructif. Une<br />
distinction fondamentale semble ainsi devoir être faite :<br />
ces deux « types » de honte, s’il est possible de parler de<br />
classification, ne pourraient que difficilement porter une<br />
même étiquette. Cela signifie-t-il que certaines hontes<br />
pourraient être qualifiées de constructives quand d’<strong>au</strong>tres<br />
seraient gratuites ? C’est à cela que semble conclure<br />
le face-à-face fouilles corporelles systématiques en milieu<br />
carcéral/apurement de la dette d’un enfant <strong>au</strong>teur d’une<br />
bêtise. Mais, et cette question sera ici laissée en suspens,<br />
cette distinction n’est-elle pas privée de tout sens et profondément<br />
dangereuse en ce qu'elle ouvre la porte à des<br />
dérives notionnelles, difficilement objectives ?<br />
Pour conclure sur une note d’espoir, citons simplement<br />
Jean-Marc Mahy qui, dans Après le meurtre, revivre, ne<br />
nie pas qu’il y ait « en prison comme partout <strong>au</strong> monde,<br />
[...] des instants lumineux. Une vraie camaraderie, des<br />
visites et même de l’amour. De grandes affections, de<br />
véritables amours, nées hors les murs, parviennent à survivre<br />
à la séparation, <strong>au</strong> chagrin, à la honte ». Si la honte,<br />
comme l’humiliation avec laquelle elle va de pair, est un<br />
farde<strong>au</strong> qu’il f<strong>au</strong>t combattre à la source, elle ne permet<br />
pas à elle seule de détruire toute ambition liée à une<br />
seconde chance de la personne anciennement détenue.<br />
Le parcours de Jean-Marc Mahy, qui devient l’éducateur<br />
qu’il <strong>au</strong>rait aimé connaître avant de commettre « l’irrémédiable<br />
», et cette note finale, permettent d’envisager toute<br />
la mesure de l’influence des affections et de l’amour sur la<br />
résorption, pourtant toujours inachevée, des souffrances<br />
notamment c<strong>au</strong>sées par la honte et l’humiliation en prison.<br />
NOTES<br />
1. Éditions Couleur Livres.<br />
2. <strong>Passe</strong>-<strong>Murailles</strong>, <strong>n°</strong> 30, mai/juin 2011.<br />
3. Éditions de l’Homme, 2002.<br />
4. La force juridictionnelle d’une telle reconnaissance n’est pas dénuée de portée<br />
contraignante : selon l’alinéa 3 de l’article 62 de la Constitution, toute décision du<br />
Conseil constitutionnel s’impose <strong>au</strong>x pouvoirs publics et à toutes les <strong>au</strong>torités administratives<br />
et judiciaires.<br />
5. Les enjeux des droits de l’Homme, 1988.<br />
6.Valasina c/ Lituanie, CEDH, 24 juillet 2001.