27.06.2013 Views

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

# <strong>35</strong> MMAARS//AAVRIL 2012<br />

dossier<br />

régissent la collectivité n’<strong>au</strong>ront pas changé.<br />

Plus la crise est importante, plus l’exclusion du bouc émissaire<br />

doit donc être radicale et, pour que le mal symbolisé<br />

par cette personne devenue objet de curée disparaisse à<br />

jamais, la peine de mort, lorsqu’elle était légale, était à cet<br />

égard était le moyen le plus efficace dans l’imaginaire collectif<br />

et individuel. Cependant, pour éviter l’hécatombe et<br />

non seulement, éviter l’effondrement de cette logique du<br />

mimétisme, mais <strong>au</strong>ssi pour la renforcer à travers une visée<br />

dissuasive, asseyant ainsi <strong>au</strong>torité et discipline, on a<br />

inventé une graduation dans l’exclusion.<br />

À la suite des exécutions publiques en place de grève,<br />

sous prétexte d’exemplarité, il fallait que cette désignation<br />

soit publique et visible de tous, accompagnée ou non de<br />

sévices corporels. Du défilé sous la huée de la foule, les crachats<br />

et <strong>au</strong>tres projections jusqu’<strong>au</strong> placardage des<br />

condamnations en affichage public, il fallait que le bouc<br />

émissaire soit discrédité et mis à l’écart du « jeu » des<br />

échanges d’une manière ou d’une <strong>au</strong>tre. Il n’y a pas si<br />

longtemps encore, l’élève mis <strong>au</strong> coin de la classe avec un<br />

bonnet d’âne sur la tête, sous les quolibets de ses camarades,<br />

appartenait <strong>au</strong> même processus. Il en va de même<br />

pour les tribun<strong>au</strong>x où le jugement est public (pour soidisant<br />

garantir la transparence de la justice à travers un<br />

be<strong>au</strong> tour de passe-passe) et où la presse se délecte de<br />

rapporter les faits divers.<br />

Il ne s’agit pas de dire ici que tous les boucs émissaires<br />

sont innocents quant <strong>au</strong> respect des biens et des<br />

personnes, mais de bien comprendre le phénomène dans<br />

30<br />

lequel s’enracine l’humiliation qu’on leur fait subir. Il<br />

ne s’agit pas non plus de chercher à garder secrets<br />

les faits divers, cela ne montrerait que davantage la<br />

gomme, mais de repérer la fonction de la dénonciation.<br />

L’humiliation qui sévit à chaque heure dans les<br />

prisons, dont la fouille à nu est représentative, n’est<br />

donc pas due à quelques énergumènes ou brebis<br />

galeuses qui profiteraient du système pour assouvir<br />

je-ne-sais quel sadisme, mais bien le résultat d’un<br />

système qui en est porteur par nature. La preuve est<br />

que les lois votées, allant dans le sens d’une cessation<br />

des exactions, ne sont pas respectées par ceux<br />

qui sont censés les appliquer et que, de manière<br />

récurrente, malgré les réticences judiciaires, le tribunal<br />

administratif est obligé de donner raison <strong>au</strong>x prisonniers<br />

qui ont eu le courage de porter plainte. Nous ajouterons<br />

que ces décisions ne sont elles-mêmes respectées que<br />

quelques semaines, le prétexte de la sécurité étant le paravent<br />

idéal pour à nouve<strong>au</strong> relancer l’humiliation.<br />

Le cas de Chloé Vilain, transsexuelle, incarcérée<br />

dans une prison pour hommes, à Fleury-Mérogis, en est l’illustration<br />

terrible : alors que ses codétenus ont fini par<br />

l’accepter et la respecter après des mois de galère, de viols<br />

et de vexations immondes, le personnel pénitentiaire<br />

continue de manière ignoble à torturer cette femme sans<br />

qu’<strong>au</strong>cune sanction soit prise, ni même un ordre d’arrêt<br />

d’exaction.<br />

Nous pouvons, sans hésiter, pour combattre l’humiliation,<br />

reprendre à notre compte la phrase de M<strong>au</strong>rice<br />

Bellet :<br />

« Quoiqu’il arrive et quoi qu’on vous dise et par qui que ce<br />

soit, ne vous laissez pas détruire. Jamais !<br />

Même si vous vous sentez indigne et méprisable, baigné<br />

de honte comme d’une sueur acide, ne laissez rien ni personne<br />

vous détruire.<br />

À la parole qui vous tue, vous ne pouvez réagir que par<br />

une haine implacable. Mais qu’elle ne s’arrête pas <strong>au</strong> malheureux<br />

qui vous crache <strong>au</strong> visage. Elle vise en lui son malheur,<br />

le nœud de la mort où lui même est pris. » 2<br />

NOTES<br />

1. Les choses cachées depuis la fondation du monde, Éditions Grasset.<br />

2. La traversée de l’en-bas, Éditions Bayard.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!