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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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# <strong>35</strong> MMAARS//AAVRIL 2012<br />

dossier<br />

des personnes défavorisées ayant échoué à prendre « l’ascenseur<br />

social ». Selon ce directeur du laboratoire du<br />

Changement social à l’université de Paris-VII, « la honte est<br />

un sentiment éminemment social, puisqu’elle naît sous le<br />

regard d’<strong>au</strong>trui dans la confrontation du sujet <strong>au</strong> monde,<br />

elle s’enracine dans ce qu’il y a de plus intime, dans le sentiment<br />

d’exister comme être unique, différent des <strong>au</strong>tres,<br />

ayant une singularité propre. Elle s’inscrit dans la<br />

recherche de cohérence entre soi et soi, entre soi et le<br />

monde » 17 . Cela montre alors que le sens de la peine a toujours<br />

été profondément lié à une démarche de la société.<br />

Il s’agit de faire prendre conscience à<br />

l’individu que, par son acte, il ne<br />

pourra que graviter <strong>au</strong>tour de la commun<strong>au</strong>té<br />

des hommes. Et ce, pendant<br />

son incarcération, mais <strong>au</strong>ssi bien <strong>au</strong>delà.<br />

Cependant, cette manière<br />

d’envisager la punition entraine certaines<br />

conséquences, telles que la<br />

colère et l’injustice. Des études sur les<br />

souffrances psychiques liées à la<br />

détention mettent en exergue ce ressenti<br />

de colère contre le système. La<br />

honte s’intensifie <strong>au</strong> cours de l’incarcération<br />

et est généralement mêlée à des sentiments de<br />

frustration et d’anxiété importants 18 . Ces sentiments peuvent<br />

prendre leur source dans l’humiliation, corollaire de<br />

la honte dans l’incarcération.<br />

Certains actes considérés comme illég<strong>au</strong>x peuvent <strong>au</strong>ssi<br />

s’expliquer par le rejet de la norme sociale prédominante.<br />

Ainsi les personnes ayant commis des infractions ne ressentent<br />

pas nécessairement la honte que la société<br />

cherche à imposer à ceux qui ont commis un acte<br />

NOTES<br />

1. Jean-Cl<strong>au</strong>de <strong>Passe</strong>ron et Cl<strong>au</strong>de Ggrigon, Le Savant et le populaire, misérabilisme et<br />

populisme en sociologie et en littérature, Seuil – Gallimard.<br />

2. Erving Goffman, Stigmate. Les usages soci<strong>au</strong>x des handicaps, Éditions de Minuit, 1975.<br />

3. Quand bien même les sanctions ont évolué, la honte reste un sentiment constant du<br />

condamné. Dans l’ordonnance criminelle de 1670, les atteintes <strong>au</strong>x mœurs exposaient à<br />

des peines « infamantes » plutôt qu’ « afflictives » ou « capitales » parmi lesquelles la<br />

honte publique.<br />

4. Gilles Chantraine, « Prison, désaffiliation, stigmates. L’engrenage carcéral de “l’inutile <strong>au</strong><br />

monde” contemporain », Déviance et Société, 2003/4, volume 27, p. 363-387.<br />

5. Ibid.<br />

6. Castel, « Les pièges de l’exclusion », Lien social et politiques, <strong>n°</strong> 34, p. 13-21.<br />

7. Sociologue français (1930-2002), <strong>au</strong>teur du Sens pratique, Éditions de Minuit, 1980.<br />

8. Gilles Chantraine, « Prison, désaffiliation, stigmates. L'engrenage carcéral de 'l'inutile <strong>au</strong><br />

monde' contemporain », Op. cit.<br />

9. Jacques Berchtold, Les prisons du roman (XIIe – XVIII e siècle).<br />

10. Selon Gilles Chantraine, l’institution totale « est celle qui tend infiniment fois plus que les<br />

<strong>au</strong>tres mais sans y parvenir jamais complètement à réduire l’initiative de la marge de<br />

L’HUMILIATION, À LA DIFFÉRENCE DE<br />

LA HONTE, EST UNE MANIÈRE<br />

ASSUMÉE DE METTRE À L’ÉCART UN<br />

INDIVIDU EN NIANT SA QUALITÉ<br />

D’HOMME, ET LE RESPECT DÛ À<br />

CETTE QUALITÉ, PAR CERTAINS<br />

ACTES. LA FOUILLE OU L’OUVERTURE<br />

DE LA PORTE DE LA CELLULE PAR LE<br />

SURVEILLANT SONT DEUX EXEMPLES<br />

DE LA VIOLATION DE L’INTIMITÉ, QUI<br />

EST CEPENDANT SACRÉE POUR<br />

CHAQUE ÊTRE HUMAIN.<br />

28<br />

condamnable. Ces actes peuvent être considérés comme<br />

des résistances à un système profondément inégalitaire<br />

et sont donc assumés. Dès lors, il s’agira d’humilier.<br />

L’humiliation, à la différence de la honte, est une manière<br />

assumée de mettre à l’écart un individu en niant sa qualité<br />

d’homme, et le respect dû à cette qualité, par certains<br />

actes. La fouille ou l’ouverture de la porte de la cellule par<br />

le surveillant sont deux exemples de la violation de l’intimité,<br />

qui est cependant sacrée pour chaque être humain.<br />

Ce déni de reconnaissance provoque perte de<br />

confiance en soi, pessimisme à l’égard de la société et<br />

révolte. Au caractère précaire de la<br />

situation d’échec social est attachée<br />

une certaine irréversibilité, voire une<br />

fatalité, confortée par un dialogue<br />

avec la société ancrée dans les stigmatisations.<br />

La vengeance figure<br />

également parmi les suites probables<br />

<strong>au</strong>x sentiments de honte et d’humiliation<br />

convertis en cynisme, c’est-àdire<br />

en refus critique et nihiliste de<br />

tout système de valeurs.<br />

Tout se passe comme si, ayant<br />

éprouvé intérieurement l’effondrement<br />

de sa propre valeur, et par<br />

conséquent, des valeurs dont il est investi, le sujet honteux<br />

projetait sur le monde extérieur l’expérience de cet<br />

effondrement. Mais de ces expériences profondément<br />

douloureuses peut <strong>au</strong>ssi naître la révolte contre le système<br />

carcéral. On ne peut, en effet, que constater l’échec<br />

de la prison et de la punition. Si les discours officiels parlent<br />

de réinsertion, il n’y a dans cela que de l’exclusion<br />

assumée.<br />

manœuvre ».<br />

11. Hegel, Realphilosophie, I, p. 230 : « Cet être de la conscience, qui existe en tant que totalité<br />

singulière, en tant que celle qui a renoncé à soi-même, a précisément l’intuition de son<br />

être dans une <strong>au</strong>tre conscience […]. Dans toute <strong>au</strong>tre conscience, elle est ce qu’elle est<br />

immédiatement pour elle même quand elle est dans une <strong>au</strong>tre conscience – une totalité<br />

dépassée ; par là, la singularité se <strong>trou</strong>ve s<strong>au</strong>vée absolument ».<br />

12. Jürgen Habermas, La technique et la science comme « idéologie », Édition Gallimard.<br />

13. B. D<strong>au</strong>ver, E. Belveyre, C. Durand, F. Hardouin, S. Brochet, « Éléments statistiques descriptifs<br />

concernant une population de 400 détenus <strong>au</strong> centre pénitentiaire de Caen »,<br />

Forensic, <strong>n°</strong> 10, avril-mai 2002.<br />

14. P. Bouhnik et S. Touzé, Héroïne, sida, prison, ANRS, 1996.<br />

15. G. De Coninck, « La famille du détenu : de la suspicion à l’idéalisation », Déviance et<br />

société, 1982, Volume 6-1, p. 83-103.<br />

16. Archives départementales de Seine-Maritime, ADSM 37<strong>35</strong> W 71 (1954).<br />

17. Vincent de G<strong>au</strong>léjac. Les Sources de la honte, Éditions Desclée de Brouwer, 1996.<br />

18. Docteur Evry Archer, « Recherche sur l’évaluation de la souffrance psychique liée à la<br />

détention », Mission de Recherche Droit & Justice, juin 2008.

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