Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode
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amis et même ma propre famille. Je remercie la Cour pour<br />
me donner une seconde chance de montrer que je peux<br />
être honnête et droit. Pardon encore pour tous les <strong>trou</strong>bles<br />
que j’ai pu c<strong>au</strong>ser ».<br />
Les promoteurs de ce type d’alternatives à l’incarcération<br />
avancent leur potentiel dissuasif et surtout<br />
leur capacité à satisfaire le besoin de revanche de la<br />
société, et plus particulièrement du parti de la victime. En<br />
effet, <strong>au</strong>x dires du professeur de Droit Dan Kahan, « Ces<br />
peines peuvent satisfaire les besoins de condamnations<br />
morales spectaculaires du public d’une manière percutante<br />
et juste ». Pour certains juges, les « shaming sentences<br />
» sont également un outil efficace de « protection »<br />
de la société contre ses membres « douteux ». Le juge<br />
ayant eu recours à une peine de la honte dans l’affaire<br />
Meyer (précédemment citée) estime ainsi se sentir « be<strong>au</strong>coup<br />
plus à l’aise en sachant que les gens qui ne connaissent<br />
pas M. Meyer disposent désormais d’un avertissement<br />
» 6 .<br />
Cependant, l’engouement pour ces nouvelles<br />
formes de peines soulève également de nombreuses critiques.<br />
D’abord, dans leur utilisation par les Cours américaines<br />
<strong>au</strong>jourd’hui, elles font bien peu de cas du retour de<br />
la personne condamnée dans la collectivité face à laquelle<br />
elle a été humiliée une fois la période de probation terminée<br />
(et cela v<strong>au</strong>t encore plus pour les peines dites de<br />
dégradation que pour les <strong>au</strong>tres). D’ailleurs, les « shaming<br />
penalties » ignorent par là un objectif qui n’est du reste<br />
que peu prisé par la société américaine : une enquête<br />
conduite en 1995 par Gerber et Englehardt-Geer révèle<br />
que 53 % des personnes à qui l’on a demandé quel était<br />
selon elles le rôle le plus important de la punition criminelle<br />
évoquaient en premier lieu le « châtiment » contre<br />
seulement 21 % pour la « réhabilitation » 7 .<br />
Ainsi, les punitions de la honte stigmatisent, et la<br />
fin théorique de la période de probation n’est pas en<br />
mesure d’effacer la marque infâmante que la peine a<br />
laissé. Sans compter que l’imagination de certains juges<br />
les emporte parfois très loin dans le choix des modalités<br />
de la « shaming sentence ». La professeure Toni Massaro<br />
dénonce de fait ces punitions « fantasques grossièrement<br />
éb<strong>au</strong>chées négligeant totalement la rest<strong>au</strong>ration du sta-<br />
85<br />
tut du condamné », jugeant qu’il ne s’agit là « que d’expressions<br />
de dégoût ». De plus, elles installent une forme<br />
de confusion entre la transgression de normes juridiques<br />
et celle de valeurs morales, tout comme elles essentialisent<br />
l’individu ayant commis un acte délictueux par cet<br />
acte, donc en délinquant par nature. En outre, David R.<br />
Karp discute la prétendue efficacité de telles alternatives<br />
à la prison. D’abord parce que ce sont des peines qui se<br />
concentrent essentiellement sur la personne du contrevenant<br />
sans prendre en compte son contexte socio-psychologique<br />
ni les circonstances dans lesquelles elle a posé<br />
l’acte condamné. De sorte que les « shaming penalties »<br />
mettent à l’écart de la société par l’humiliation des individus<br />
qui étaient déjà bien souvent relégués à ses marges.<br />
Or la honte est le corollaire d’un lien existant entre le<br />
contrevenant et les <strong>au</strong>tres membres de la société, donc si<br />
ce lien était préalablement endommagé voire absent, la<br />
punition par la honte n’a <strong>au</strong>cun effet (en dehors du fait<br />
qu’elle pérennise l’étanchéité de la séparation entre le<br />
condamné et le reste de la société). Ensuite, Karp émet de<br />
grandes réserves sur l’efficacité des « shaming penalties »<br />
dans le contexte américain actuel, c'est-à-dire une société<br />
où l’individualisme et l’anonymat des masses qui se<br />
côtoient sont des phénomènes prononcés. De fait, la<br />
honte est pour lui un sentiment social particulièrement<br />
effectif (et donc risqué) dans de petites commun<strong>au</strong>tés, en<br />
raison de la plus forte interconnexion et du poids accru du<br />
regard des <strong>au</strong>tres inhérents à ces groupes réduits.<br />
En somme, si le recours <strong>au</strong>x « shaming sentences<br />
» comme outil de punition juridique reste relativement<br />
peu répandu d’après Amnesty International et Penal<br />
Reform International, il reste toutefois préoccupant, d’<strong>au</strong>tant<br />
que ces types de peines sont potentiellement en<br />
passe de banalisation <strong>au</strong> Roy<strong>au</strong>me-Uni, comme s’en<br />
inquiétaient Julian Borger et Joe Jackson dans un article<br />
paru dans The Guardian en 2008 8 .<br />
NOTES<br />
1. « La nouvelle mode américaine, les peines de la honte ! », Envoyé spécial, 5 mars<br />
2001, France 2 pour DH.be.<br />
2. Bénédicte Sère et Joerg Wettl<strong>au</strong>fer, introduction du Colloque des Shaming studies,<br />
Paris, octobre 2010.<br />
3. Martin Ingram, « Punitions honteuses et pénitence dans l’Angleterre du début de<br />
l’époque moderne ».<br />
4. Citée dans Jan Hoffman, « Crime and Punishment : Shaim gains popularity », in New<br />
York Times, 1997.<br />
5. « The judicial and judicious use of shame penalties », in Crime and Delinquency,<br />
1998.<br />
6. Cité dans Jan Hoffman, Op. cit.<br />
7. J. Gerber, S. Englehardt-Geer, « Just and Painful : Attitudes towards sentencing criminals<br />
» in Americans view Crime and Justice : a National Public opinion, 1996.<br />
8. « Could humiliation be the next weapon in our war on crime ? », The Guardian,<br />
17 juin 2008.<br />
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