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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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évoltait... Au centre de détention de Joux-la-Ville, on a<br />

tout cassé et comme j’étais considéré comme meneur, j’ai<br />

fait trois mois d’isolement et un mois de mitard. Dans des<br />

cas comme ça, vous perdez toutes vos remises de peine ;<br />

on vous rajoute même de la détention... Alors que tout<br />

casser, c’est un signe de détresse !<br />

L’isolement, c’est comme le mitard. On fait avec...<br />

Au début, je disjonctais be<strong>au</strong>coup et on m’amenait à l’infirmerie,<br />

où on me donnait un médoc qui, très vite, m’a fait<br />

sortir de la réalité. Dès que j’avalais ça, j’étais assommé.<br />

J’avais une copine à l’époque et c’est elle qui m’en a fait<br />

prendre conscience. On s’écrivait et un jour, dans une de<br />

ses lettres, elle m’a dit que je devenais bizarre, qu’elle ne<br />

me reconnaissait plus. « Je ne sais<br />

pas ce qu’on te donne, mais quoi<br />

que ce soit, il f<strong>au</strong>t que tu arrêtes, tu<br />

n’es plus le même ». Alors, tout<br />

doucement, quand on est quelqu’un<br />

de normalement constitué,<br />

on arrive à se rendre compte de ce<br />

qu’il se passe. Et, avec be<strong>au</strong>coup<br />

d’efforts, on finit par se re<strong>trou</strong>ver<br />

les pieds sur terre. Mais c’est compliqué.<br />

LA FOUILLE FAIT PARTIE DU TRAIN-<br />

TRAIN QUOTIDIEN... C’EST COMME ÇA<br />

QUE JE LE PRENAIS. J’AI TELLEMENT FAIT<br />

DE DÉTENTION QUE C’ÉTAIT DEVENU UN<br />

TRUC BANAL. AUJOURD’HUI, TU ME DIS<br />

« FFOOUUIILLLLEE !! », EN DEUX SECONDES, JE<br />

SUIS TOUT NU !<br />

J’avais un <strong>au</strong>mônier qui me rendait visite régulièrement.<br />

À l’époque, j’avais be<strong>au</strong>coup de difficultés avec<br />

l’écrit, et il m’a appris à conjuguer. Grâce à lui, je sais<br />

<strong>au</strong>jourd’hui écrire correctement. Il m’a <strong>au</strong>ssi apporté<br />

be<strong>au</strong>coup psychologiquement et moralement. Ça a été le<br />

bon côté de cette époque. Il était le seul lien avec l’extérieur.<br />

Je recevais de temps en temps une lettre de ma<br />

mère ou de ma copine. Mais personne ne venait me voir,<br />

c’était trop loin. Mine de rien, cet <strong>au</strong>mônier m’a apporté<br />

be<strong>au</strong>coup. De voir quelqu’un qui vient régulièrement<br />

prendre de vos nouvelles alors que vous ne voyez personne,<br />

ce n’est pas rien. Ça aide à se refaire, à se reforger.<br />

Après, tout reste difficile. De temps en temps,<br />

comme tout détenu dans le désespoir, je pétais un câble.<br />

Je ne voulais pas coopérer, et cela crée de drôles de situations<br />

en détention. Par exemple, je n’acceptais personne<br />

en cellule. Ils étaient toujours obligés de me donner une<br />

cellule pour moi tout seul, et c’était un peu compliqué.<br />

Mais je n’ai pas toujours eu ces exigences... À la prison de<br />

Fresnes, par exemple, il n’y a pas moyen de demander une<br />

cellule tout seul ! C’est impossible, quasiment infaisable !<br />

47<br />

Chaque fois que je pouvais, je demandais donc une cellule<br />

tout seul, mais je ne reprochais rien <strong>au</strong>x <strong>au</strong>tres détenus. Au<br />

contraire, un détenu, c’est un détenu comme moi. Ce que<br />

je voulais, c’est avoir un minimum d’espace, d'intimité.<br />

Parce que, le plus difficile, en prison, c’est de cohabiter<br />

dans un petit espace. À deux, ça va encore. Mais à trois,<br />

quatre, cinq ! C’est invivable ! Quand c’est comme ça, il<br />

f<strong>au</strong>t savoir prendre les devants, même s’il f<strong>au</strong>t le payer<br />

d’un peu de mitard pour y arriver.<br />

Du coup, j’avais un dossier qui me suivait partout.<br />

À chaque fois que j’arrivais dans une nouvelle prison, on<br />

savait que je faisais de la boxe thaïlandaise... Pour vous<br />

dire à quel point le moindre truc est noté. Et quand ils<br />

savent que vous savez taper, ils font<br />

hyper attention.<br />

Les surveillants ne cherchent pas<br />

forcément à te casser, même s’il y a<br />

des endroits comme ça. Si un surveillant<br />

commence à faire des histoires<br />

gratuitement, s’il n’est pas<br />

fichu d’attendre trente secondes, la<br />

porte de la cellule ouverte, pour que<br />

tu te prépares à sortir en promenade... C’est comme ça<br />

que l’ambiance entre un détenu et un surveillant se fait. Tu<br />

vas le prendre en grippe. Et ce sera un m<strong>au</strong>vais surveillant...<br />

Et tu n’<strong>au</strong>ras de cesse de le lui montrer, même si ce<br />

n’est pas la bonne chose à faire. Mais, malheureusement,<br />

quand on passe tant d’années en prison, on devient un<br />

peu particulier. On s’affirme comme ça...<br />

Je n’ai jamais eu de problème avec les fouilles...<br />

Pour eux, ce sont des mesures de sécurité. Même si c’est<br />

<strong>au</strong>ssi l’occasion de te tester. Mais être fouillé ne me<br />

dérange pas plus que ça. Du moment qu’on ne me dit pas<br />

qu’il f<strong>au</strong>t que je m’accroupisse, que je tousse. Ça, ce sont<br />

des trucs qui me font disjoncter. C’est la procédure, mais<br />

pas avec moi. Je peux ouvrir la bouche, montrer l’intérieur<br />

de ma bouche, lever les bras, écarter les jambes en restant<br />

<strong>debout</strong>. Mais se mettre accroupi et tousser, c’est des<br />

bêtises, des trucs qui riment à rien. Il y a des détenus qui le<br />

font, d’<strong>au</strong>tres qui disjonctent et ne se laissent pas faire.<br />

Mais la fouille fait partie du train-train quotidien... C’est<br />

comme ça que je le prenais. J’ai tellement fait de détention<br />

que c’était devenu un truc banal. Aujourd’hui, tu me<br />

dis « Fouille ! », en deux secondes, je suis tout nu !<br />

On finit par s’y faire, malheureusement. Ça évite des his-<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMAARRS//AAVVRIILL 2201122

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