Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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DÈS LORS, PEUT-ON SORTIR INDEMNE DE LA PRISON GRÂCE À CES MODES DE RÉSISTANCE ? PEUT-ON GARDER SA DIGNITÉ DANS LE MILIEU CARCÉRAL ? Par opposition, d’autres vont vouloir participer aux activités socioculturelles que propose la prison, afin de rencontrer et parler avec d’autres détenus ou avec des personnes du monde extérieur (intervenants bénévoles, professeur de l’Éducation nationale, travailleurs sociaux…). Leur réaction à la même humiliation sera donc différente, puisqu’ils voudront rencontrer spontanément d’autres personnes en s’investissant dans des activités de cinéma, débats… et en partageant leur interprétation avec d’autres personnes. Les modes de résistance et de survie en prison, car il s’agit bien de « survivre » à un système, sont très différents selon les individus, qui considèreront leur peine soit comme « une mauvaise étape à passer » en se recentrant sur eux-mêmes, soit comme une opportunité de se réinsérer en s’investissant, non dans des « activités de réinsertion », qui n’existent pas (encore ?) en prison, mais dans des activités socioculturelles qui leur permettent de prendre la parole et de rencontrer des personnes du monde extérieur. # 35 MARS/AVRIL 2012 dossier 54 Les interprétations que les détenus font de leur peine sont donc très diverses, dépendant souvent de leur situation et de leur tempérament initial, avant leur incarcération. Par ailleurs, il demeure que la prison offre peu d’espoir pour les détenus de garder leur dignité durant leur incarcération, les modes de contestation des prisonniers étant, au mieux, insignifiants aux yeux de l’administration pénitentiaire comme de l’opinion publique. Ainsi si le mode de contestation de la pétition semble un moyen valable et efficace de revendication de la part des détenus, la question est à présent de savoir si l’administration pénitentiaire, les médias et, par extension, le champ politique, principaux destinataires de ce message, prendront en considération cette voix, qui tente de se faire de plus en plus forte et présente. À juste titre. NOTES 1. Déviance et Société, 2001, Volume 25, p. 131-145.
« Une attaque en règle contre ma dignité » Une rage de dents. De celles qui vous font vivre la prison à la puissance mille. À s’en cogner la tête contre les murs. Pas de bouton d’appel ou de dispositif sophistiqué pour appeler le personnel surveillant. Il faut glisser une feuille de papier dans l’interstice de la porte pour prévenir le surveillant que j’ai besoin de lui, qu’il me faut aller à l’infirmerie pour prendre un calmant. Pas de réponse. Le couloir semble vide, pas l’ombre d’un surveillant. Je frappe à la porte régulièrement. Toujours pas de réponse. Le temps passe. Mais le mal, lui, ne passe pas. Je fais les cent pas dans la cellule, comme une bête dans sa cage. Impossible de lire, d’écrire, de me concentrer sur quoi que se soit. Le mal me dévore. Puis, un son au loin. Celui d’un trousseau de clés virevoltant à la ceinture d’un surveillant. Il en arrive un. Enfin. Le surveillant s’approche, le son de ses clés se fait de plus en plus précis. Quinze mètres, dix mètres, enfin je pourrai aller chercher un médicament qui calme ma douleur. Cette douleur insupportable. Trois mètres... deux... je frappe à la porte trois coups « toc toc toc »... et dis « surveillant ! ». Le surveillant passe devant ma porte sans s’arrêter et lance « entrez ! ». Toute personne détenue – ou ayant été détenue – pourrait raconter une multitude de récits de ce type. Témoignages d’un lieu où cohabite une humanité scindée en deux genres. Deux genres. Le surveillant et le surveillé. L’un, détenant l’Autorité. L’autre, dépossédé de toute autorité sur autrui et sur lui-même. Les deux faces d’une même médaille. Avec, entre ces deux éléments constitutifs d’une même réalité, non pas seulement une porte, ou un mur épais, mais une « culture d’entreprise », une culture d’oppression. Deux siècles de logique répressive qui impactent le quotidien des personnes détenues d’une myriade de micro-agressions. En prison, la force de l’usage est un rouleau compresseur que rien ne semble arrêter, ni même freiner. Seul un amarrage solide à des principes d’humanité et à une logique – sans concession aucune – à l’État de droit, à ses valeurs universelles pourraient faire barrage à cette culture, à ces us et coutumes carcéraux, qui réduisent les personnes détenues à n’être que des individus infériorisés. Combien de fois n’ai-je pas eu cette terrible sensation de ne plus m’appartenir, de n’être qu’un objet aux mains d’un système pour lequel je n’étais que quantité négligeable. Un tas de viande… rien de plus. Un tas de 55 Par Gabriel Mouesca, ancien détenu, militant pour les luttes anticarcérales viande posé là, dans 9m². Celles et ceux – dont j’étais – qui entrent en prison pleinement conscients de la richesse de leur identité d’être humain, et/ou de citoyen, vivent d’abord et avant tout la prison comme une attaque en règle contre leur verticalité, leur dignité. De cette dignité qui nous fait Homme. Et puis, il y a les autres. Les légions d’entrants en prison qui vivent – dedans comme dehors – en dehors de ces considérations. Assommés par l’injustice. Anesthésiés par le trop plein de difficultés devenues insurmontables. Plongés, noyés, dans un océan de malheur. Pour eux, la prison n’est ainsi que le prolongement d’une vie en marge de la dite normalité. Cumulant tous les facteurs de pauvreté, ces hommes et ces femmes subissent la prison, son fonctionnement, ses règlements, ses us et coutumes, comme l’ouvrier peut vivre un « accident de travail ». La prison est pour ces gens-là une étape de plus dans la lente et inexorable descente aux enfers. Elle concourt à l’application d’une peine de mort sociale, ultime étape dans un processus de ségrégation socio-économique et politique. L’humiliation est-elle constitutive de la peine de prison ? La prison, dans son fonctionnement au quotidien, dans l’égrenage du temps qui passe, peut-elle ne pas générer d’humiliation, de ces blessures dont trop souvent on ne cicatrise pas ? La prison est une institution totalitaire. J’entends par là, que sa propre existence dépend de règles et d’une « culture » qui n’admettent aucune opposition organisée, et confisquent la totalité des éléments constitutifs de la dignité des personnes qu’elle domine. L’humiliation est un des leviers du totalitarisme. Humiliation, conséquence de l’incompréhension de la « logique pénitentiaire ». Humiliation face aux questions restant sans réponse, aux appels lancés sans échos. Aux attentes infinies. Comme s’ils gagnaient du temps en nous le faisant perdre. Humiliation toujours, face à cette sensation qui vous colle à la peau dès lors que vous entrez en prison, de ne plus être respecté dans votre dignité, dans votre simple humanité. De ne plus être à un niveau d’égalité en droit face à un fonctionnaire, de ne plus faire partie de la même humanité. Car dès l’entrée dans ce monde, le processus de dépersonnalisation est engagé. Comme si la peine de prison ne pouvait trouver sa véritable efficacité et sa raison d’être, que par un processus radical, une mutation, un passage de l’être de droit à l’être sans droit. L’humiliation étant le chemin le plus court pour parvenir à cet objectif. Il n’est qu’à voir la rage avec laquelle certains syndicats de fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ## 3355 MMAARRSS/AVVRRIILL 2201122
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