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Passe Murailles n° 35 : Rester debout au trou - Webnode

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Voici ce que l’on peut par exemple lire dans Dans<br />

la pe<strong>au</strong> d’un maton, récit d’Arthur Frayer, journaliste infiltré<br />

qui a passé les concours de la pénitentiaire : alors qu'il<br />

est en stage, ses formateurs lui racontent : « be<strong>au</strong>coup de<br />

détenus perdent tous leurs repères psychologiques<br />

quand ils entrent <strong>au</strong> quartier disciplinaire. “J’ai même été<br />

accueilli par des bols de pisse ou des petites boulettes de<br />

merde séchées qu’on me jetait à la gueule quand j’ouvrais<br />

la porte. D’<strong>au</strong>tres se mettent à poil, s’enduisent de leur<br />

propre merde, ou perdent l’usage de la parole. “ Une<br />

jeune stagiaire à côté de moi fait une moue dégoutée. Un<br />

<strong>au</strong>tre gardien raconte l’histoire d’une femme qui mangeait<br />

son matelas. “On a dû le lui retirer. Aussitôt après, les<br />

travailleurs soci<strong>au</strong>x nous ont reproché une ‘atteinte à la<br />

dignité humaine’. Pourtant, c’est ça ou la personne se suicide<br />

! Qu’est-ce que vous feriez, à ma place ? Je laisse le<br />

matelas : on m’accuse de non-assistance à personne en<br />

danger. Je le retire : on m’accuse d’atteinte à la dignité<br />

humaine ! Dans les deux cas, c’est le surveillant qui se fait<br />

avoir”. »<br />

Ailleurs, on parle de prison en tant que zone de<br />

non-droit. Cela ne doit pas surprendre. Christophe<br />

Lambert, surveillant, le dénonce même de manière significative<br />

dans son ouvrage Derrière les barre<strong>au</strong>x dans lequel<br />

il révèle la violence, la corruption, et plus encore, la sinistre<br />

indifférence quand crimes et délits sont perpétrés dans la<br />

prison même. Cas d’espèce à l'appui.<br />

Cette profession, qui peut parfois apparaître à<br />

bien des égards comme punissant une seconde fois le<br />

détenu, ne doit donc pas être considérée de façon manichéenne.<br />

Leur situation est à certains égards similaire à<br />

celle des personnes incarcérées, ne serait-ce parce-qu’ils<br />

se re<strong>trou</strong>vent tous derrière les mêmes barre<strong>au</strong>x et soumis<br />

à la même direction.<br />

D’ailleurs, un ancien détenu, Hervé Bompard, le souligne<br />

avec acuité : « la situation dans tous les établissements<br />

61<br />

pénitentiaires sans exception a atteint un tel nive<strong>au</strong> de<br />

dégradation et d’abaissement, que les espoirs, les propositions<br />

et les revendications des personnels rejoignent en<br />

bien des points ceux des personnes détenues, des<br />

familles, des travailleurs soci<strong>au</strong>x, des avocats, des équipes<br />

médicales, des intervenants professionnels et bénévoles,<br />

des rése<strong>au</strong>x associatifs, et de la grande majorité des élus,<br />

soit plusieurs millions de personnes. »<br />

Un des dangers est que cette situation encourage les<br />

errances dans l’écueil du populisme pénal : un exemple<br />

actuel, dénoncé par l’Observatoire international des prisons,<br />

décrédibilise même certains tracts syndic<strong>au</strong>x ; un<br />

<strong>au</strong>tre pousse les militants d’extrême droite à recruter<br />

devant les prisons lors des relèves. C’est ainsi que le FN<br />

Essonne a mené en février 2012 une action devant la prison<br />

pour « soutenir » les surveillants pénitentiaires, avec<br />

pour justification affreuse le fait que « le personnel pénitentiaire<br />

n’a pas à subir les conséquences d’une immigration<br />

incontrôlée, de l’explosion de la délinquance et de<br />

l’insécurité. La République doit reprendre le contrôle des<br />

prisons abandonnées par le pouvoir <strong>au</strong>x mafias, bandes et<br />

trafics de drogue. » Le basculement est trop aisé pour être<br />

honnête. Ainsi, entre les c<strong>au</strong>ses originaires dénoncées<br />

entre <strong>au</strong>tres par le rapport sénatorial sus-mentionné, et<br />

celles choisies par un parti politique pour concentrer certains<br />

malaises et s’assurer des voix électorales, il y a un<br />

fossé que les plus opportunistes ont déjà scandaleusement<br />

choisi de franchir. Il convient assurément de répandre<br />

l’antidote.<br />

Nommé en juin 2008, le Contrôleur général des<br />

lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, a dressé<br />

un panorama sans concession de « l’arbitraire » que subit<br />

« la France captive » dans les 5 800 lieux d’enfermement<br />

de l’Hexagone.<br />

Et donc, nécessairement, la fonction la plus proche des<br />

personnes enfermées en pâtit. Ce sujet relance la question<br />

de la fonction de la prison. Quelle est en effet sa pertinence<br />

lorsqu’elle est génératrice d’humiliation meurtrière<br />

et dégradante dénoncée jusque dans les sphères européennes<br />

?<br />

NOTES<br />

1. Marylise Lebranchu, « Re<strong>trou</strong>ver le sens de la sanction », dans Bernard Chaouat (dir.),<br />

Reconstruire sa vie après la prison. Quel avenir après la sanction ?, Les Éditions de<br />

l’Atelier, novembre 2011.<br />

2. P<strong>au</strong>l Mbanzoulou, « L’apport des surveillants dans la réinsertion » dans Bernard<br />

Chaouat (dir.), Op. cit.<br />

3. Op. cit.<br />

## 3<strong>35</strong>5 MMARSS/AVRRIILL 2201122

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