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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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de remettre en vigueur ce règlement du Code Noir, qui était tombé en désuétude. Le Nègre

libre qui insulte ou frappe un Blanc est puni d’emprisonnement ou d’amende, à la

discrétion de la Cour, suivant l’énormité du crime. S’il est d’abord frappé par un Blanc,

et qu’il ait l’audace de se défendre et de tuer l’agresseur pour protéger sa propre vie, il est

coupable de meurtre et jugé en conséquence. Il ne peut épouser qu’une femme de sa caste

et il lui est défendu de se marier avec une esclave. Ces unions ainsi contractées sont

qualifiées par la loi de vil concubinage, les enfants qui en proviennent sont illégitimes et

ne peuvent hériter de leurs parents. Pas plus que les esclaves, les hommes de couleur

libres n’ont l’autorisation d’assister en grand nombre à une réunion de prières avant le

lever ou après le coucher du soleil. Passé neuf heures du soir, même lorsqu’ils ne forment

qu’une faible partie de l’assemblée, ils n’ont plus le droit d’adorer leur Dieu, et les

hommes de patrouille, pénétrant violemment dans leur chapelle, peuvent infliger à chacun

d’eux vingt coups de fouet pour avoir osé prier à l’heure où les étoiles brillent au ciel.

Ce n’est pas tout : la liberté de circulation, cette liberté si précieuse, surtout en

Amérique, est virtuellement interdite aux affranchis. Ils n’ont pas le droit de réclamer de

passeports, car ils ne sont pas citoyens des États-Unis, et tout récemment encore une dame

sang-mêlé à laquelle on avait par méprise accordé un passeport américain ne put le faire

viser à Londres par le ministre de sa patrie. Suspects à cause de leur couleur, qui les fait

prendre pour des esclaves, les affranchis ne peuvent voyager hors de leur commune sans

s’exposer à la prison, ou bien aux insolences des Blancs qu’ils rencontrent. Dans le

Tennessee, on ne leur permet pas de voyager en wagons de chemin de fer à moins qu’un

planteur ne fournisse pour eux une caution de mille dollars. S’ils ne consentent à s’exiler

complètement du territoire de la république américaine, ils sont de fait internés dans le

lieu de leur résidence, et ne peuvent élire domicile dans un autre État à esclaves, sous

peine d’être fouettés une première fois et d’être vendus aux enchères en cas de récidive.

Hors du lieu de leur résidence, le premier venu peut les voler ou les vendre, car, en vertu

d’une décision récente rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire de

l’esclave Dred Scott :

« Les Nègres libres n’ont aucune espèce de droits que les Blancs soient tenus de

respecter. Ils peuvent justement et légalement être réduits en esclavage pour le profit du

Blanc. »

Selon la législation de la Caroline du Sud (Negro-law of South-Carolina, pp. 15 et 24),

tout homme libre mais de couleur arrivant dans un port sudiste à bord d’un navire

quelconque, en qualité de cuisinier, de maître d’hôtel ou de matelot, est immédiatement

transféré dans la prison de la ville, et le capitaine doit promettre de le reprendre à son

bord en fournissant une caution de mille dollars pour répondre du paiement des frais

occasionnés par l’emprisonnement. S’il ne remplit pas toutes ces obligations, il peut être

condamné à mille dollars d’amende et à six mois de prison. Telles sont les lois sévères

que les législateurs sudistes ont décrétées depuis quarante ans déjà, afin d’éviter les

dangers dont la liberté des affranchis menace la sécurité des Blancs.

Récemment encore, plusieurs sociétés composées de financiers esclavagistes

bienveillants, désirant arriver au même but en se débarrassant des esclaves libres,

proposaient de leur faire un pont d’or pour les attirer hors du territoire de la République.

Ces sociétés frétaient et envoyaient des navires à Saint-Domingue, au Libéria, au cap

Palmas tout ne cessant de proclamer avec emphase la prospérité des nations nègres de la

côte de Guinée. Elles prêchaient les avantages de la liberté sur la terre d’Afrique avec

autant de ferveur que ceux de l’esclavage sur la terre d’Amérique. Toutefois les Nègres

libres qui ont prêté l’oreille à ces conseils doucereux sont au nombre de quelques milliers

à peine, et, sous le souffle de ce vent de haine qui passe sur la République américaine, les

aristocraties de ces États esclavagistes se croient obligés de prendre des mesures

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