UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
8
de remettre en vigueur ce règlement du Code Noir, qui était tombé en désuétude. Le Nègre
libre qui insulte ou frappe un Blanc est puni d’emprisonnement ou d’amende, à la
discrétion de la Cour, suivant l’énormité du crime. S’il est d’abord frappé par un Blanc,
et qu’il ait l’audace de se défendre et de tuer l’agresseur pour protéger sa propre vie, il est
coupable de meurtre et jugé en conséquence. Il ne peut épouser qu’une femme de sa caste
et il lui est défendu de se marier avec une esclave. Ces unions ainsi contractées sont
qualifiées par la loi de vil concubinage, les enfants qui en proviennent sont illégitimes et
ne peuvent hériter de leurs parents. Pas plus que les esclaves, les hommes de couleur
libres n’ont l’autorisation d’assister en grand nombre à une réunion de prières avant le
lever ou après le coucher du soleil. Passé neuf heures du soir, même lorsqu’ils ne forment
qu’une faible partie de l’assemblée, ils n’ont plus le droit d’adorer leur Dieu, et les
hommes de patrouille, pénétrant violemment dans leur chapelle, peuvent infliger à chacun
d’eux vingt coups de fouet pour avoir osé prier à l’heure où les étoiles brillent au ciel.
Ce n’est pas tout : la liberté de circulation, cette liberté si précieuse, surtout en
Amérique, est virtuellement interdite aux affranchis. Ils n’ont pas le droit de réclamer de
passeports, car ils ne sont pas citoyens des États-Unis, et tout récemment encore une dame
sang-mêlé à laquelle on avait par méprise accordé un passeport américain ne put le faire
viser à Londres par le ministre de sa patrie. Suspects à cause de leur couleur, qui les fait
prendre pour des esclaves, les affranchis ne peuvent voyager hors de leur commune sans
s’exposer à la prison, ou bien aux insolences des Blancs qu’ils rencontrent. Dans le
Tennessee, on ne leur permet pas de voyager en wagons de chemin de fer à moins qu’un
planteur ne fournisse pour eux une caution de mille dollars. S’ils ne consentent à s’exiler
complètement du territoire de la république américaine, ils sont de fait internés dans le
lieu de leur résidence, et ne peuvent élire domicile dans un autre État à esclaves, sous
peine d’être fouettés une première fois et d’être vendus aux enchères en cas de récidive.
Hors du lieu de leur résidence, le premier venu peut les voler ou les vendre, car, en vertu
d’une décision récente rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire de
l’esclave Dred Scott :
« Les Nègres libres n’ont aucune espèce de droits que les Blancs soient tenus de
respecter. Ils peuvent justement et légalement être réduits en esclavage pour le profit du
Blanc. »
Selon la législation de la Caroline du Sud (Negro-law of South-Carolina, pp. 15 et 24),
tout homme libre mais de couleur arrivant dans un port sudiste à bord d’un navire
quelconque, en qualité de cuisinier, de maître d’hôtel ou de matelot, est immédiatement
transféré dans la prison de la ville, et le capitaine doit promettre de le reprendre à son
bord en fournissant une caution de mille dollars pour répondre du paiement des frais
occasionnés par l’emprisonnement. S’il ne remplit pas toutes ces obligations, il peut être
condamné à mille dollars d’amende et à six mois de prison. Telles sont les lois sévères
que les législateurs sudistes ont décrétées depuis quarante ans déjà, afin d’éviter les
dangers dont la liberté des affranchis menace la sécurité des Blancs.
Récemment encore, plusieurs sociétés composées de financiers esclavagistes
bienveillants, désirant arriver au même but en se débarrassant des esclaves libres,
proposaient de leur faire un pont d’or pour les attirer hors du territoire de la République.
Ces sociétés frétaient et envoyaient des navires à Saint-Domingue, au Libéria, au cap
Palmas tout ne cessant de proclamer avec emphase la prospérité des nations nègres de la
côte de Guinée. Elles prêchaient les avantages de la liberté sur la terre d’Afrique avec
autant de ferveur que ceux de l’esclavage sur la terre d’Amérique. Toutefois les Nègres
libres qui ont prêté l’oreille à ces conseils doucereux sont au nombre de quelques milliers
à peine, et, sous le souffle de ce vent de haine qui passe sur la République américaine, les
aristocraties de ces États esclavagistes se croient obligés de prendre des mesures