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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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reculer ses armées. Il fallait désormais parler un langage plus ferme et prendre des

mesures radicales, commandées non seulement par la justice éternelle, mais encore par le

péril extrême de la République. Le Président s’y résolu enfin : le 22 septembre 1862, il

annonça solennellement aux rebelles qu’il leur accordait encore cent jours de répit, mais

qu’au 1 er janvier de l’année suivante toutes les personnes tenues en esclavage dans

chacun des États insurgés contre l’Union seraient dorénavant et pour toujours libres.

Cette proclamation n’était qu’une conséquence nécessaire de la loi sur la Confiscation

votée depuis longtemps par le Congrès, mais cette fois elle s’appliquait aux millions

d’esclaves qui se trouvaient dans les États dissidents et constituait un événement de la

plus haute importance historique. Quoique prononcée dans la seule intention de maintenir

l’intégrité nationale, cette parole de liberté n’en signalait pas moins l’accomplissement

d’une révolution immense dans la vie du peuple américain.

En effet, l’esclavage avait toujours formé une partie intégrante du Droit public. Il

existait pendant la guerre d’indépendance des États-Unis. Après la Déclaration des Droits

de l’Homme, l’esclavage avait été reconnu indirectement dans la Constitution, et plus

tard, il s’était développé et en même temps que la puissante République. Il en avait suivi

les merveilleux progrès par des progrès correspondants, il avait enrichi une moitié de la

nation, tandis que le travail libre en enrichissait l’autre moitié. Enfin et grâce à la

complicité des ministres du culte, l’esclavage avait été proclamé saint et s’était élevé à la

hauteur d’un dogme. Aussi, le président Lincoln dut se demander avec une pénible

anxiété s’il avait bien le droit de tenter une œuvre qui avait effrayé George Washington.

Plein du sentiment de son immense responsabilité, il hésita au moment de signer cet acte,

qui marquait une nouvelle ère dans l’Histoire. Lorsque la foule vint le féliciter de son

audace, il refusa tristement tout éloge, craignant peut-être d’avoir causé la ruine de son

pays. Heureusement Lincoln avait lancé sa proclamation et il n’est pas homme à faire un

pas en arrière. D’ailleurs, s’il avait essayé de reculer, les événements se seraient bientôt

chargés de le pousser en avant ou d’agir à sa place.

Ainsi qu’on pouvait s’y attendre, les rebelles ne songèrent point à rentrer dans le sein

de l’Union pendant les cent jours de répit qui leur avaient été accordés, mais ils

continuèrent la guerre avec un redoublement de furie, sentant que la date fatale leur ôtait

toute chance de donner un semblant de justice à leur cause. Sans aucun doute, ils eussent

réussi à faire triompher pour longtemps leur autonomie nationale, s’ils avaient pris les

devants dans l’œuvre d’émancipation et proclamé la liberté de leurs esclaves. Le généralévêque

Léonidas Polk, l’un des plus riches planteurs de la Louisiane, recommandait cette

politique audacieuse. De même en Europe la plupart des hommes intelligents qui voyaient

avec plaisir la scission des États-Unis conseillaient au gouvernement confédéré d’adopter

au moins en apparence des mesures favorables à un affranchissement ultérieur des Noirs.

Tous ces prudents avis avaient été négligés, par la raison bien simple que, sans la

possession indéfinie de leurs esclaves et le pouvoir d’étendre l’institution patriarcale,

l’indépendance politique n’offrirait plus aucun avantage aux planteurs sudistes. Ils

s’étaient soulevés pour le principe de l’esclavage, ils voulaient vaincre ou succomber au

nom de ce même principe. Néanmoins la lucidité que donne souvent l’extrême danger

leur fit comprendre que la proclamation du président Lincoln leur faisait perdre une

occasion suprême de gagner les sympathies actives des puissances européennes et de

diviser leurs adversaires. Aussi leur exaspération fut grande, et sous l’influence d’un amer

dépit ils donnèrent à la lutte un caractère de plus en plus féroce.

Dans l’un des derniers jours de grâce accordés aux séparatistes, M. Jefferson Davis,

saisi du même vertige que ses concitoyens, proclamait, en termes à peine voilés par une

sauvage ironie, la mise hors la loi de tous les Nègres et de tous leurs officiers qui servaient

dans un régiment ennemi. À l’appel du président de l’Union, qui l’adjurait d’émanciper

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