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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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Dans la ville de New York, qui compte environ 10 000 personnes de couleur, la plupart

des sang-mêlé tiennent des cabarets de bas étage ou se promènent sur les quais du port à

la recherche de travaux serviles tandis que leurs femmes, nées et élevées dans les taudis

les plus affreux, se livrent à une abjecte prostitution. Quant aux enfants, rongés de

scrofules et de vermine, dès leur naissance ils sont de vils parias condamnés à l’infamie.

Les Noirs et les mulâtres qui exercent une profession régulière dans la grande cité

forment au plus la sixième partie de la population de couleur ; ils sont presque tous

hommes de peine. Les six médecins, les sept instituteurs et les treize pasteurs comptés

parmi eux en 1850 exerçaient leur profession uniquement au service de leurs frères de

couleur. Dans les autres grandes villes non esclavagistes, les Africains, sans être aussi

malheureux qu’à New-York, sont en général très misérables. Et pourquoi les Noirs des

États libres sont-ils ainsi en proie au vice, à la misère et à la maladie, si ce n’est parce que

toutes les carrières honorables leur sont fermées et les ateliers leur sont interdits ? Ils ne

peuvent travailler à côté d’un Blanc, monter dans la même voiture, manger à la même

table ni s’asseoir dans la même église pour adorer le même Dieu. Par délicatesse envers

les Blancs, les ministres du culte, qui, du haut de leurs chaires, invoquent le Seigneur en

faveur des opprimés de toutes les nations, s’abstiennent, de dire un seul mot des Nègres.

Ceux-ci ont des voitures, des églises et des écoles à part.

À Boston, qui est pourtant la « capitale » de l’abolitionnisme, il n’existe qu’une seule

école pour les Noirs, et leurs enfants doivent parcourir plusieurs kilomètres pour s’y

rendre. Cependant, les sang mêlé ont une telle ambition de se rapprocher des Blancs qu’ils

fréquentent assidûment les rares écoles ouvertes pour eux. En moyenne, ces Noirs sont

plus instruits que les Poor Whites ou Petits Blancs du Sud, mais en dépit de leurs efforts,

ils sont systématiquement et socialement rejetés. Les résultats du recensement décennal

effectué en 1850 nous révèlent que, sur une population de 196 016 individus de couleur

habitant le Nord, 22 043, plus d’un neuvième, fréquentaient les écoles publiques. En

revanche, pour les Sudistes de race blanche, la scolarité moyenne est de moins d’un enfant

sur dix. Or, dans le Massachusetts par exemple, les gens de de souche africaine envoient

aux écoles un sixième de leur population. C’est dire que les Nègres libres de cet État n’ont

rien à envier à la Prusse sous le rapport de l’instruction élémentaire. Si les États du Nord

étaient vraiment une terre de liberté, on pourrait compter par centaine de mille les esclaves

fugitifs. En été, lorsque l’Ohio n’est plus qu’un mince filet d’eau serpentant à travers les

galets, tous les esclaves des propriétés de la Virginie et du Kentucky situées sur ses bords

pourraient s’enfuir sans difficulté et gagner la terre promise. Ainsi, de proche en proche,

le vide se ferait dans les plantations des frontières, et bientôt les planteurs ne pourraient

empêcher la désertion qu’en maintenant des armées permanentes. Mais les bords de

l’Ohio sont gardés par l’égoïsme et l’avidité des riverains bien mieux qu’ils ne le seraient

par une armée ou par une muraille de fer. Les Nègres n’osent franchir le fleuve, parce

qu’au-delà ils s’attendent à ne voir que des ennemis. Quand même les autorités fédérales

n’oseraient les poursuivre dans la crainte de se heurter contre le patriotisme chatouilleux

des habitants de l’Ohio, les fugitifs ne sauraient éviter la misère et la faim.

Ainsi le point d’appui le plus solide de l’esclavage est le mépris que la majorité des

abolitionnistes affichent eux-mêmes pour les Nègres. Les planteurs peuvent justement

affirmer que leurs esclaves sont mieux soignés, mieux nourris, moins soupçonnés, moins

méprisés et matériellement plus heureux que ne le sont les pauvres Nègres libres du Nord.

Ils peuvent déclarer, sans crainte d’être contredits, que les propriétaires les plus cruels

envers les esclaves, ceux qui exercent leurs prétendus droits de maîtres avec la plus grande

rigueur, sont des spéculateurs venus des États yankees. Ils prouvent aussi que presque

tous les négriers sont armés et équipés dans les ports de New-York et de la Nouvelle-

Angleterre au vu et au su de tout le monde. Entre les planteurs et la majorité des membres

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