UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
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Le colonel Jennison s’exprimait d’une manière encore plus énergique et mêlait à son
cri de guerre une sanglante ironie à l’adresse de la Cour suprême :
« Les Rebelles sudistes sont des hors la loi ! Nous les traiterons partout comme des
ennemis de Dieu et des hommes, comme des gens trop vils pour qu’ils ne puissent rien
posséder en propre, comme des êtres n’ayant aucune espèce de droits que les hommes
loyaux soient tenus de respecter ! »
Colonel Charles R. Jennison - Général John C. Frémont - Sénateur républicain Jim Lane (National Archives).
Les actes du colonel Charles Jennison étaient d’accord avec ses paroles : il faisait vivre
ses troupes sur les propriétés des planteurs, brûlait leurs maisons, libérait leurs esclaves
et leur distribuait des armes. La vraie force de ces volontaires du Kansas, celle qui leur fit
rallier définitivement l’État du Missouri à la cause de l’Union, c’était la ferveur
abolitionniste de quelques-uns de ces militants. Ceux-ci avaient fait de la délivrance des
Nègres la mission de leur vie et saisissaient avec enthousiasme l’occasion d’accomplir
leur œuvre sans avoir à craindre les arguties légales. Héros à la façon des puritains leurs
ancêtres, ils étaient résolus à vaincre et prêts à mourir. Sans paie, mal vêtus, mal nourris,
complétement dégagés de cette vulgaire ambition de l’avancement qui animait la majorité
des autres soldats de l’Union, ils combattaient seulement pour les droits de l’homme et
pour la liberté du sol. Leur véritable chef et leur modèle, ce n’était ni Jennison, ni le
sénateur Lane, c’était John Possawatomie Brown, le pendu de Harper’s Ferry. Dans leurs
rangs marchait le fils de la victime, brûlant de venger la mort de son père et chantant avec
ses compagnons l’hymne de guerre devenu aujourd’hui la Marseillaise des Nègres.
Ainsi le fils de John Brown et ses compagnons d’armes, qui chantaient avec lui la
gloire de son père, combattaient, non pour le maintien de l’Union, mais pour
l’affranchissement des Noirs. L’ordre du général Halleck défendant l’admission des
Nègres fugitifs dans les lignes fédérales n’était pour eux qu’un vain mot et ne leur
arrachait qu’un sourire de mépris. Leur œuvre d’émancipation n’en était point
interrompue. À la fin de l’année 1861, les deux brigades du Kansas, composés de deux
mille hommes à peine, avaient à elles seules délivré plus de trois mille esclaves et les
avaient acheminés vers la terre de la liberté. En outre, un grand nombre de Noirs s’étaient
échappés des plantations sans attendre les bandes libératrices, et, voyageant de nuit à
travers les forêts, avaient réussi à gagner la frontière. Entraîné par l’exemple de ses
hommes, le sénateur Lane, qui, de son propre aveu, se serait fait avec joie chasseur de
Nègres avant la prise du fort Sumter, proclamait maintenant :
« L’affranchissement d’un esclave portait au royaume de la sécession un coup plus terrible
que la mort d’un soldat et il priait le Tout-puissant d’endurcir les cœurs des rebelles sudistes
comme celui de Pharaon et de les faire persister dans leur crime, afin qu’on pût envahir leur
territoire et faire tomber les chaînes de tous les esclaves. »