UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane
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Enclavé entre l’État du Maryland et celui de la Virginie, ce petit District de Columbia
était encore déshonoré par la présence de plus de 3 000 esclaves africains que régissait
l’abominable Code Noir. En vertu de ces règlements, tout Nègre convaincu d’avoir brisé
un réverbère, ou bien d’avoir attaché un cheval à un arbre, ou bien encore d’avoir lancé
lancé un pétard à moins de cent mètres de la maison d’un Blanc, était passible de trenteneuf
coups de fouet. Donc, le Congrès des États-Unis ne pouvait plus autoriser de
pareilles horreurs dans son district territorial. Bientôt et après avoir approuvé le message
du président Lincoln, les Chambres adoptèrent, à la majorité des deux tiers, une loi
affranchissant les Noirs du District of Columbia. En termes parlementaires, les membres
du Congrès désignaient les Noirs détenus ou résidant dans ce district par la périphrase de
personnes astreintes au service ou au travails obligatoire. Le total de l’indemnité allouée
aux propriétaires fut fixé à quatre millions de dollars. En outre le Congrès vota une somme
de 400 000 dollars pour venir en aide aux Africains qui exprimeraient leur désir de
s’expatrier.
Dès que l’adoption de cette loi fut connue dans Washington, la capitale fut salué par
un immense cri de joie. La population de couleur, composée pour les trois quarts de
Nègres libres et parfaitement initiés à la vie politique, était dans une jubilation impossible
à décrire. De toutes parts, elle se précipitait dans les églises pour donner un libre cours à
son enthousiasme par des actions de grâce, des hymnes et des pleurs de joie. De temps en
temps, on apprenait que des propriétaires avides, profitant des quelques jours de répit qui
leur restaient encore, emmenaient de force leurs esclaves les plus vigoureux et leurs plus
belles mulâtresses pour les vendre sur les marchés du Maryland à un prix supérieur à
l’indemnité que le ministère des Finances devait leur verser. En dépit de ces injustices,
les douleurs de famille se perdaient dans l’allégresse universelle. L’affranchissement des
esclaves du District de Columbia, que le sénateur Sumner n’avait pu proposer en 1850
sans courir de véritables dangers pour sa vie, était désormais une réalité. Les orateurs qui
parlaient de justice et de liberté dans les salles du Capitole n’étaient plus exposés à
entendre en guise de réponse les cris d’un esclave flagellé par le fouetteur public. Après
leur mise en liberté, les Noirs, qu’on avait accusé d’avance de préparer une bacchanale
de crimes, continuèrent d’être les citoyens les plus paisibles de Washington. Ils ne
songèrent pas même à quitter leurs anciens maîtres, et se contentèrent d’exiger, en
échange de leurs services, un salaire mensuel de huit à douze dollars. Quant au subside
voté par le Congrès pour favoriser l’émigration des affranchis, il resta complètement sans
emploi. Aussi bien que les Blancs, les Noirs se permettent d’aimer le pays qui les a vus
naître, et, puisqu’ils y trouvent la liberté, quelle raison auraient-ils de le quitter
désormais ? Comme leurs frères nés libres, ils sauront y conquérir l’aisance, et contribuer
par leur travail à la prospérité de tous.
Lors du recensement de 1862 destiné à mettre en œuvre la récente décision du
président Lincoln, l’administration républicaine compta 3 181 esclaves noirs et 11 131
Africains libres dans le District fédéral de Columbia. En 1860, les évasions et les
enlèvements d’esclaves les avaient réduits au nombre de 2 989. Les indemnités touchées
par les 900 propriétaires de ces Noirs se sont élevées à 900 000 dollars, soit une moyenne
de 300 dollars par affranchi. L’administration républicaine avait confié, à un marchand
d’esclaves de Baltimore, la mission de fixer la valeur marchande de tous les Noirs qui
devaient être affranchis dans le District de Columbia. En émancipant les esclaves de son
District de Columbia, le Congrès n’avait heureusement pas épuisé tous ses pouvoirs
constitutionnels. En substance, il pouvait encore et également abolir la vente et
l’esclavage des Noirs dans les Territoires organisés de l’Union, c’est-à-dire dans les
diverses contrées de l’Ouest américain qui n’ont pas encore une population assez
considérable pour être élevés au rang d’un État.