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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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l’esclavage, ne cessent de prêcher à leurs frères en servitude que leur sort est doux et

enviable, que leur nourriture de chaque jour est un bienfait divin duquel ils ne sauraient

être trop reconnaissants envers le généreux planteur, que la félicité éternelle est réservée

aux esclaves exempts de rancune. Les pasteurs blancs qui les raffermissent dans la foi

chrétienne exposent la même doctrine avec plus d’autorité. Ils recommandent aux Nègres

d’obéir sans murmurer, de recevoir les coups de fouet sans éprouver le moindre sentiment

de vengeance, de bénir ceux qui les frappent, de révérer leurs maîtres comme des

représentants du Père universel. C’est à cette œuvre de lâcheté et de corruption que

s’emploient sans cesse des milliers de prédicateurs de la bonne nouvelle. Loin d’employer

leur éloquence à faire des hommes de bonne volonté, ils rendent l’esclave encore plus

esclave, le lâche encore plus lâche, et dans l’âme du Nègre rebelle ajoutent la peur de

l’enfer à la peur du fouet. Ainsi gagnent leur salaire des ministres de Dieu en vendant les

âmes qui leur sont confiées.

On peut dire qu’avant la dernière élection présidentielle, l’Église en tant que corps,

même celle des États libres, donnait l’appui de sa parole et de son influence à l’esclavage,

et réprouvait avec ensemble les utopistes qui affirment l’égalité de droits pour les Noirs.

En 1850, les Églises réunies des États nordistes et sudistes comptaient de 23 à 24 000

ministres du culte pour lesquels l’esclavage était la pierre angulaire de la société. Les

pasteurs qui avaient fondé des Églises séparées, afin de ne pas adhérer au crime de

l’esclavage, étaient trois mille cinq cents seulement, six ou sept fois moins que leurs

adversaires esclavagistes.

Autrefois l’Église presbytérienne d’Amérique avait inséré dans sa confession de foi

un article qui condamnait formellement le commerce des Noirs, mais, grâce à la

corruption de l’exemple et à l’action démoralisante des intérêts privés, cet article a été

rayé de la confession de foi. Maintenant, tout presbytérien peut se livrer au trafic

d’hommes et de femmes avec la même liberté de conscience que s’il vendait ou achetait

des troupeaux de bêtes. De même les anciens méthodistes, avaient suivi la voie que leur

avait tracée John Wesley, le célèbre fondateur de leur Église, et ils proclamaient que

l’esclavage était l’ensemble de tous les crimes. De concessions en concessions, la majorité

des fidèles de cette Église en est arrivée à permettre à leurs évêques de se faire éleveurs

d’esclaves pour les marchés du Sud. À cette occasion, un schisme s’opéra, et l’Église

méthodiste se partagea en deux fractions : celle du Sud et celle du Nord. En dépit de cette

rupture avec leurs coreligionnaires du sudistes, les membres zélés des méthodistes du

Nord ne comptent pas moins de 15 000 propriétaires possédant plus de 100 000 esclaves

dans les États du Delaware, du Maryland, de la Virginie, du Kentucky, du Missouri et de

l’Arkansas. Les épiscopaux, moins nombreux, n’avaient en 1850 que 88 000 esclaves.

Les baptistes en possédaient 226 000, et pour plaire à ses fidèles, un éloquent orateur

anglais de leur confession, M. Charles H. Spurgeon (1834-1892), retrancha de ses

sermons toutes les phrases suspectes de tendances abolitionnistes ?

Des sociétés religieuses qui ont leur siège dans les grandes villes du Nord, telle la

Société américaine des Traités évangéliques et le Comité américain des Missions

étrangères, répandent des brochures et des opuscules pour établir, au nom de Jésus-Christ,

la légitimité de l’esclavage. De son côté, la Société biblique se refuse à distribuer des

bibles aux Noirs. Les humbles frères moraves eux-mêmes qui, en Europe, ont cherché à

réaliser l’idéal d’une république fraternelle, font travailler des esclaves et leur prêchent

l’abdication de la volonté. À l’exception des Quakers, seuls protestants auxquels la grande

association évangélique refuse le titre de frères, il n’est pas une communion chrétienne

qui ne se soit rendue coupable de la même iniquité contre la race africaine. J’ai vu un

prêtre catholique qui, après avoir recueilli pendant quinze ans les économies qu’une

vieille Négresse lui avait confiée afin d’obtenir son rachat, employa ces économies à

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