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UN FRANÇAIS EN LOUISIANE 1860-1862

Notes et observations d'un écrivain et géographe français pendant la guerre de Sécession en Louisiane

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colons libres, d’autres, situés par une singulière anomalie dans le sud de l’État,

renfermaient une forte proportion d’esclaves. Jefferson, le chef-lieu du Missouri, était aux

ordres des planteurs, tandis que Saint-Louis, la grande cité qui aspire à devenir le siège

du gouvernement des États-Unis, était principalement républicaine et élisait au Congrès

des adversaires de l’esclavage. Des milliers d’émigrants allemands, des exilés politiques,

presque tous abolitionnistes ardents et complètement étrangers aux subtilités des légistes

américains, prêchaient avec ferveur l’émancipation des Noirs. Enfin les souvenirs encore

des récents combats au Kansas et au Nebraska, qui avaient ensanglanté ces deux frontières

pendant plusieurs années, emplissaient tous les cœurs de haine et de vengeance.

Dans ces régions, situées à plus de 2 000 kilomètres de Washington D.C. et rendues

presque indépendantes du gouvernement central par la désorganisation temporaire de la

République, la lutte devait nécessairement revêtir un caractère particulier et se

transformer en guerre d’émancipation. Chose étrange, c’étaient ces mêmes populations

agricoles du Haut-Mississippi, sur lesquelles les esclavagistes avaient le plus compté, qui

étaient les premières à demander l’affranchissement de leurs Noirs. Tandis qu’à

Washington D.C., le président Abraham Lincoln et ses généraux faisaient assaut de

courtoisie envers les propriétaires de Nègres et témoignaient par leurs actes du respect

qu’ils portaient à l’institution servile, les volontaires du Missouri et du Kansas agissaient

tout autrement et demandaient à se battre, non pour les clauses de la Constitution, mais

bien pour la liberté du sol 9 .

Les deux armées de l’Est et de l’Ouest, que l’immense vallée de l’Ohio séparait l’une

de l’autre, et qui s’étaient levées au même appel, apportaient chacune sur les champs de

bataille un esprit différent. L’une, composée d’hommes appartenant pour la plupart aux

classes industrielles et commerçante de race anglo-saxonne, n’avait d’autre but que de

défendre la loi. L’autre, dont les rangs étaient en grande partie formés d’agriculteurs

allemands encore tout pénétrés des idées de l’Europe sur l’esclavage, voulaient avant tout

faire triompher la justice. Les chefs de file de ces deux tendances diverses étaient d’un

côté le légiste Lincoln, de l’autre le pionnier Frémont. Si ces deux hommes n’avaient pas

été animés tous les deux du plus sincère patriotisme, et si la guerre, en se répandant de la

baie de Chesapeake à l’Arkansas, n’avait pas bientôt fondu tous les contrastes et donné

la même impulsion à toutes les armées en marche, l’antagonisme naturel des États de

l’Ouest aurait pu devenir une source de dangers pour notre République et la menace d’une

deuxième scission bien plus douloureuse encore que la première.

Dès le commencement de la guerre, les esclavagistes du Missouri se sentent frappés

au cœur. Le prix des Nègres, qui est pour les planteurs américains ce qu’est le cours de la

rente pour les négociants européens, baissa de 80% en quelques mois. Des Noirs qui

étaient achetés à 1 200 dollars à la fin de l’année 1860, se revendaient en moyenne à 200

dollars en 1861. Complètement ruinés, les marchands d’esclaves maudissaient les

Républicains des États du Nord et discouraient en faveur de l’insurrection qu’ils

définissaient comme le plus sain de tous les devoirs. Un grand nombre de propriétaires

qui disposaient encore de fonds considérables se hâtaient de vendre leurs terres à vil prix

et disaient adieu à leur Missouri pour aller s’établir en Arkansas avec leur bétail humain.

Comme les évasions d’esclaves devenaient chaque jour plus fréquentes, les volontaires

allemands qui occupaient la ville de Saint-Louis, et que les ennemis de l’Union

qualifiaient de terroristes, ne négligeaient aucune occasion de violer la loi d’extradition,

et tous les Nègres fugitifs trouvaient dans leur camp un accueil empressé. D’ailleurs le

général Frémont leur donnait l’exemple. Un jour, un planteur vint chercher trois Noirs

qui s’étaient réfugiés dans son camp : allez-vous-en, lui répondit le général, il se peut que

9

En 1861, Lincoln se trouvait dans l’impossibilité technique d’abolir l’esclavage car il aurait dû obtenir l’adhésion des trois quarts

des membres du Congrès, ce qui n’était pas possible tant que les élus des États sécessionnistes y siégeaient encore. (NDLT)

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